Connerie humaine, quand tu nous tiens…

Il y a quelques années, je me suis promis de systématiquement noter / archiver / commenter tout ce qui relève de la « connerie humaine » (du moins dans mon propre référentiel). Encore une promesse qui n’a pu résister à l’ampleur de la tache.
Mais bon, de temps en temps, l’ampleur de la connerie l’emporte et ma motivation revient au galop.

Dans un article du Monde 2 « Au cœur de la Cisjordanie colonisée », j’ai relevé les paroles -oh combien conciliatrices- de deux colons (dois-je préciser qu’ils sont un peu intégristes sur les bords ?) :

« Au bout du vallon où son frère Yeosaphat a planté sa vigne, Gilad Thor s’entraîne à la fronde. C’est la seule arme officiellement tolérée à Havat Maon. L’armée israélienne interdit aux hommes de la communauté de posséder fusils et pistolets. Mais les pierres suffisent à tenir à distance les Arabes d’A-Tawani et les membres d’une ONG chrétienne qui filment en permanence les familles juives afin de « réunir une documentation sur la violence des colons ». Gilad réfute l’accusation de violence : « Les Arabes sont comme nos chèvres. On évite de leur faire mal, mais il faut leur apprendre à avoir peur de la pierre qui va tomber du ciel s’ils s’écartent du bon chemin. Avant de jeter une pierre à une chèvre, je siffle pour la mettre en garde. Cela suffit pour la ramener vers le troupeau. Même chose pour les Arabes. S’ils approchent de nos maisons, je siffle, ils comprennent que ça va mal aller et ils font demi-tour. »

Gilad et Yeosaphat Thor ne détestent pas les Arabes. Yeosaphat remercie Dieu qui « a béni les juifs d’Havat Maon en créant ce face-à-face avec les Palestiniens d’A-Tawani. Les Arabes sont utiles aux juifs. Ils sont l’épée que nous avons dans les reins et qui nous oblige à progresser. Ils sont l’exemple de ce que nous allons devenir si nous nous écartons de la voie de Dieu. Ils sont ce qu’aucun homme ne devrait jamais être. Dieu nous en préserve ! ». » (Source : Le Monde 2, 5 Septembre 2009)

Il faut dire que je me suis une peu reconnu dans « Les arabes sont comme nos chèvres ». De bicot à biquet, il n’y a qu’un pas, et grâce à nos amis Gilad & Yeosaphat nous venons de le franchir…

Uriner sous la douche, c’est top écolo…

L’ONG brésilienne SOS Mata Atlantica a lancé une campagne « Xixi no Banho », autrement dit « Pipi dans la Baignoire », visant à inciter « hommes, femmes, enfants de tous âges, classes sociales et professions – les bonnes, les méchantes et les monstrueuses » à faire pipi en se lavant, et à apporter ainsi leur petite pierre à la sauvegarde de l’environnement. Ceci permettrait, en effet, d’économiser plus de 4300 litres d’eau potable par personne et par an.

Le site brésilien Terra rappelle que l’urine normale est stérile…

Le clip est accessible sur Youtube.

Et c’est là où je me suis découvert ma première fibre écolo…

Populisme en Sarkozystan

Il m’a suffit d’un passage éclair à la Ville des Lumières pour que ce mélange détonnant de populisme (éternel hymne sécuritaire avec son bouc émissaire du moment : les Roms) et d’affairisme (Eric Woerth, sa femme, son parrain et la milliardaire…), caractéristique de la politique française actuelle, me monte au nez…
Et apparemment, je ne suis pas le seul…

Ceci est une p’tite lettre ouverte adressée au Président de la République, par Jacques Hochmann (professeur émérite de psychiatrie à l’Université Claude Bernard). Source : Le Monde du 18/8/2010

Elle ne servira absolument à rien, mais bon… raison de plus de la garder dans mes archives (pour mes p’tites, afin de leur expliquer, le moment venu, les origines de la Chute Finale)

Monsieur le Président,

Comme vous je suis un fils d’immigré (polonais, en ce qui me concerne). Mon père est venu étudier en France, en 1925, il est retourné se marier au pays, en 1932. Je suis né en France, en 1934 et nous avons, mes parents et moi, été naturalisés français, en 1936, sous le Front Populaire.

Bien que mon père, ingénieur dans une usine métallurgique, ait participé à l’effort d’armement de la France et ait toujours été respectueux de la loi, nous avons, en 1942, en tant que juifs, été déclarés déchus de la nationalité française par le Gouvernement de Vichy, et, de ce fait, mis en danger immédiat d’être arrêtés et déportés. Nous n’avons dû la vie, comme beaucoup d’autres juifs résidant en France, qu’au dévouement et parfois à l’héroïsme de ceux qui, alors, nous ont cachés et aidés, en nous procurant de faux papiers et en nous hébergeant.

Vous êtes né après cette sombre époque. Vous n’avez pas connu, dans la presse et à la radio, le déchaînement de la haine xénophobe. C’est la seule excuse que je peux trouver à ce que j’oserais appeler votre irresponsabilité, si je n’étais tenu au respect par la haute fonction que vous incarnez.

Vous n’êtes pas seulement, en effet, le chef d’une majorité qui conduit une politique choisie par les électeurs. Vous occupez une place symbolique, que reconnait la loi, en vous déclarant au dessus d’elle pendant la durée de votre mandat. En se dotant d’un Président de la République, en décidant, il y a presque un demi-siècle, de l’élire au suffrage universel, pour renforcer son image et son pouvoir, le Peuple souverain s’est cherché à la fois un guide à moyen terme et un arbitre transcendant les passions populaires.

Celles-ci sont promptes à s’échauffer, en particulier dans les périodes de crise économique, comme celle que nous traversons. La passion conduit à l’abolition de la réflexion, au passage à l’acte, à la décharge immédiate des désirs les plus primitifs. Quoi de plus passionnel, de plus irréfléchi et de plus primitif que la haine ou la peur de l’étranger. Surtout, s’il vit parmi nous, s’il s’infiltre à travers des frontières, érigées pour nous protéger, s’il viole ainsi continuellement le sentiment du chez-soi, l’étranger, quoi qu’il fasse ou ne fasse pas, est, en lui-même, une source potentielle d’insécurité. Il engendre inévitablement, dans les sociétés humaines archaïques comme dans les sociétés animales, la violence.

Dans les moments difficiles, il devient le bouc émissaire. Le Juif, le Romanichel et aujourd’hui le Noir ou le Beur, quelle que soit sa nationalité formelle, incarne ainsi, en lui-même, le danger voire le mal, indépendamment de son comportement objectif.

Il suffit de lire actuellement les commentaires des internautes et de suivre les sondages d’opinion pour s’assurer du large écho positif rencontré par vos propositions de Grenoble et par leurs applications immédiates. Vous surfez sur une vague porteuse. Mais c’est justement ce qui m’inquiète. L’histoire n’est pas avare d’exemples qui montrent jusqu’où peut conduire le débordement passionnel et avec quelle facilté peut craquer l’enveloppe de civilisation qui tente de les contenir, en s’appuyant sur les valeurs de solidarité, de tolérance et d’hospitalité qui font partie aussi de l’héritage humain.

Par delà votre personne, vous êtes le représentant de ces valeurs, vous avez pour mission, et vous l’avez rappelé dans un de vos anciens discours, en citant Edgar Morin, de faire œuvre de civilisation. Un Président de la République doit renforcer le sentiment de sécurité en faisant un travail de pédagogue (ce qu’avait fait votre prédécesseur François Mitterand, en demandant au Parlement d’abolir la peine de mort, contre le sentiment prévalent dans la majorité de la population).

Les réponses au jour le jour que vous donnez, avec la fougue qui vous caractérise, aux problèmes actuels d’insécurité sociale, économique et d’ordre public, n’ont rien de rassurant. Vous avez déclenché, justifié par avance, des réflexes sociaux que vous risquez de ne plus maîtriser. Le Front national se réjouit de voir valider, au plus haut niveau de l’État, certaines de ses propositions.

Comble d’ironie, c’est d’un pays sans grande tradition démocratique, la Roumanie, où, comme d’ailleurs en Hongrie et en Bulgarie les Roms n’ont jamais joui d’un statut enviable, que vous viennent aujourd’hui les accusations de populisme et l’appel à une réflexion plus calme et plus inscrite dans la durée.

Veuillez agréer, monsieur, le Président, l’expression de la haute considération dans laquelle je tiens votre fonction.

Une grenouille à moitié cuite…

Sommes-nous tous, finalement, de pauvres grenouilles à moitié cuites ?

La fable qui suit (entièrement due à Olivier Clerc, écrivain et philosophe) en dit long sur notre fâcheuse tendance à nous laisser berner… Une métaphore qui, j’ose espérer, ne peut vous laisser indifférents…

« Imaginez une marmite remplie d’eau froide dans laquelle nage tranquillement une grenouille. Le feu est allumé sous la marmite, l’eau chauffe  doucement. Elle est bientôt tiède.  La grenouille trouve cela plutôt agréable et continue à nager.

La température continue à grimper. L’eau est maintenant chaude. C’est  un peu plus n’apprécie la grenouille, ça la fatigue un peu, mais elle ne s’affole pas pour autant.

L’eau est cette fois vraiment chaude. La grenouille commence trouver cela désagréable, mais elle s’est affaiblie, alors elle supporte et ne fait  rien.

La température continue à monter jusqu’au moment où la grenouille va tout  simplement finir par cuire et mourir.

Si la même grenouille avait été plongée directement dans l’eau à 50°, elle aurait immédiatement donné le coup de patte adéquat qui l’aurait éjectée aussitôt de la marmite.

Cette fable montre que, lorsqu’un changement s’effectue d’une manière  suffisamment lente, il échappe à la conscience et ne suscite la plupart du temps aucune réaction, aucune opposition, aucune révolte. Si nous regardons ce qui se passe dans notre société depuis quelques décennies, nous subissons une lente dérive à laquelle nous nous habituons.  Des tas de choses qui nous auraient horrifiés il y a 20, 30 ou 40 ans, ont été peu à peu banalisées, édulcorées, et nous dérangent mollement à ce jour, ou laissent carrément indifférents la plupart des gens.

AU NOM DU PROGRÈS et de la science, les pires atteintes aux libertés individuelles, à la dignité du vivant, à l’intégrité de la nature, à la beauté et au bonheur de vivre, s’effectuent lentement et inexorablement avec la complicité constante des victimes, ignorantes ou démunies. Les noirs tableaux annoncés pour l’avenir, au lieu de susciter des réactions et des mesures préventives, ne font que préparer psychologiquement le peuple à accepter des conditions de vie décadentes, voire DRAMATIQUES. Le GAVAGE PERMANENT d’informations de la part des  médias sature les cerveaux  qui n’arrivent plus à faire la part des  choses…

Lorsque j’ai annoncé ces choses pour la première fois, c’était pour demain. Là, C’EST POUR AUJOURD’HUI. Alors si vous n’êtes pas, comme la grenouille, déjà à moitié cuits,  donnez le coup de patte salutaire avant qu’il ne soit trop tard. »

A tous ces ridicules qui veulent (pensent) nous éclairer…

Je n’ai pu m’empêcher de reprendre ces quelques perles du bêtisier de la finance. Heureusement que le ridicule ne tue guère…

En ce début de l’an 9, il est temps de décerner quelques « Médailles » aux différents experts qui se sont penchés cette année sur notre économie…

Prix de la plus belle « Analyse boursière »
Décerné à David Naudé, économiste et analyste senior de la Deutsche Bank, pour cette déclaration prophétique faite le 1er janvier 2008.« Aux Etats-Unis, l’embellie arrivera certainement mi-2008. En Europe la reprise prendra sans doute quelques mois de plus. En tout cas, il n’aura pas de krach cette année ! » Nous attendrons avec impatience l’analyse des analystes seniors de la Deutsche Bank pour 2009

Prix de la plus belle « Déclaration politique »
Décerné à Eric Woerth, ministre du budget pour cette petite phrase : « Par nature, la France n’est pas en récession ». Le prochain sommet de la francophonie devrait d’ailleurs proposer la suppression de ce mot, qui n’existe que dans les pays anglo-saxons.

Et à Dominique Strauss-Kahn, directeur du FMI pour ces deux déclarations « Il y a de bonnes raisons de penser que les institutions financières ont révélé l’essentiel (des dégâts), surtout aux Etats-Unis (…) Les pires nouvelles sont donc derrière nous » (mai 2008) et « La crise financière est « mondialisée », et aucun pays n’échappera à ses effets qui seront pires en 2009 que cette année » (le même DSK réincarné en décembre 2008)

Prix de la meilleure « Analyse en matières premières »
Décerné sans hésitation à la banque Goldman Sachs, avec une mention spéciale pour le timing, pour sa prévision d’un baril à 200 $ « dans un délai de 6 mois à 2 ans », faite en mai 2008. Goldman Sachs a entre temps un peu modifié son objectif, qui est passé de 200 à 45 $ en l’espace de 6 mois. Nous en sommes aujourd’hui autour de 60$, après être passés par 30$.

Prix du meilleur « Article de presse »
Il revient de droit au « Journal des Finances », avec là aussi une mention pour le timing absolument parfait, avec ce superbe titre dans sa une du 13 septembre 2008 : « CAC 40, le pire est passé ». Deux jours après la parution de ce numéro, le CAC entamait une grande vague de baisse, qui le fit passer de 4 332 à 3 176 points en moins d’un mois.

Prix du plus beau « Gaspillage financier »
Décerné à l’état américain, qui a réussi à faire passer sa dette publique nette de 5 276 milliards à 6 434 milliards en seulement 5 mois, de juillet à décembre 2008 (+ 1 158 milliards de $), ce qui le place bien loin devant tous les Madoff et Kerviel

Prix de la meilleure « Notation de risque bancaire »
Décerné à l’agence de notation Standar & Poors, pour avoir octroyé la note A+ à Lehman Brothers en mars 2008 (6 mois avant la faillite) en précisant ceci « The near-term earnings prospects remain at least somewhat brighter » » ce qui pourrait être traduit par : « A court terme, les perspectives de gain sont plutôt prometteuses »

Prix de la meilleure « Analyse immobilière »
Décerné à la FNAIM pour cette affirmation dans sa lettre de conjoncture d’avril 2008: « Tout semble indiquer que les comportements spéculatifs se sont progressivement dissipés et que le risque d’un retournement de marché mériterait d’être écarté »

Vulnérable est la démocratie…

Devant la montée des totalitarismes, rien n’est plus vulnérable qu’une démocratie dont les citoyens ont démissionné de leur rôle de garde-fou. Quelles que soient les institutions en place, quelle que soit leur crédibilité / légitimité en tant que garantes de la démocratie, notre vigilance doit rester entière.

L’engagement civique et la vigilance intellectuelle sont l’ultime barrière contre le fascisme… Et contrairement aux apparences, ce dernier n’est jamais vraiment loin.

Pour vous en convaincre, je vous invite à parcourir le bouquin de Naomi Wolf : « The End of America : Letter of Worning to a Young Patriot », ou de lire l’article qui lui a été consacré dans The Guardian du 24 Avril 2007 « Fascist America, in 10 easy steps »

Entre la démocratie et le fascisme il n’y a pas de différence du point de vue du « contenu de classe », nous enseigne Werner Hirsch (Die Internationale, janvier 1932). Le passage de la démocratie au fascisme peut prendre le caractère d’un « processus organique », c’est-à-dire se produire « progressivement et à froid ».

Gardez ça en tête. Vous en aurez sûrement besoin un jour… En attendant ce jour que j’espère lointain (car je n’ai pas fini de prendre mes précautions), prenez le temps de lire le message de Claude-Marie VADROT.

Car, le fascisme guette…

Claude-Marie VADROT : interdiction politique d’un prof au Muséum (Paris)

Claude-Marie Vadrot, journaliste à Politis et chargé de cours à Paris 8 souhaite diffuser largement ce message.

Vendredi 10 avril 2009

Je suis inquiet, très, très inquiet…

Vendredi dernier, à titre de solidarité avec mes collègues enseignants de l’Université de Paris 8 engagés, en tant que titulaires et chercheurs de l’Education Nationale, dans une opposition difficile à Valérie Pécresse, j’ai décidé de tenir mon cours sur la biodiversité et l’origine de la protection des espèces et des espaces, que je donne habituellement dans les locaux du département de Géographie (où j’enseigne depuis 20 ans), dans l’espace du Jardin des Plantes (Muséum National d’Histoire Naturelle), là où fut inventée la protection de la nature. Une façon, avec ce « cours hors les murs », de faire découvrir ces lieux aux étudiants et d’être solidaire avec la grogne actuelle mais sans les pénaliser avant leurs partiels.

Mardi, arrivé à 14 h 30, avant les étudiants, j’ai eu la surprise de me voir interpeller dés l’entrée franchie par le chef du service de sécurité, tout en constatant que les deux portes du 36 rue Geoffroy Saint Hilaire était gardées par des vigiles…

– Monsieur Vadrot ?
– euh…oui
– Je suis chargé de vous signifier que l’accès du Jardin des Plantes vous est interdit.
– Pourquoi ?
– Je n’ai pas à vous donner d’explication….
– Pouvez vous me remettre un papier me signifiant cette interdiction ?
– Non, les manifestations sont interdites dans le Muséum.
– Il ne s’agit pas d’une manifestation, mais d’un cours en plein air, sans la moindre pancarte.
– C’est non !

Les étudiants, qui se baladent déjà dans le jardin, reviennent vers l’entrée, le lieu du rendez vous. Le cours se fait donc, pendant une heure et demie, dans la rue, devant l’entrée du Muséum. Un cours qui porte sur l’histoire du Muséum, l’histoire de la protection de la nature, sur Buffon. A la fin du cours, je demande à nouveau à entrer pour effectuer une visite commentée du jardin. Nouveau refus, seuls les étudiants peuvent entrer, pas leur enseignant. Ils entrent et, je décide de tenter ma chance par une autre grille, rue de Buffon. Où je retrouve des membres du service de sécurité qui, possédant manifestement mon signalement, comme les premiers, m’interdisent à nouveau l’entrée.

Evidemment, je finis pas le fâcher et exige, sous peine de bousculer les vigiles, la présence du Directeur de la surveillance du Jardin des Plantes. Comme le scandale menace il finit par arriver. D’abord parfaitement méprisant, il finit pas me réciter mon CV et le contenu de mon blog. Cela commence à ressembler à un procès politique, avec descriptions de mes opinions, faits et gestes. D’autres enseignants du département de Géographie, dont le Directeur Olivier Archambeau, président du Club des Explorateurs, Alain Bué et Christian Weiss, insistent et menacent d’un scandale.

Le directeur de la Surveillance, qui me dit agir au nom du Directeur du Muséum (où je pensais être honorablement connu), commençant sans doute à discerner le ridicule de sa situation, finit par nous faire une proposition incroyable, du genre de celle que j’ai pu entendre autrefois, comme journaliste, en Union soviétique :

« Ecoutez, si vous me promettez de ne pas parler de politique à vos étudiants et aux autres professeurs, je vous laisse entrer et rejoindre les étudiants »

Je promets et, évidemment, ne tiendrai pas cette promesse, tant le propos est absurde. J’entre donc avec l’horrible certitude que, d’ordre du directeur et probablement du ministère de l’Education Nationale, je viens de faire l’objet d’une « interdiction politique ». Pour la première fois de mon existence, en France.

Je n’ai réalisé que plus tard, après la fin de la visite se terminant au labyrinthe du Jardin des Plantes, à quel point cet incident était extra-ordinaire et révélateur d’un glissement angoissant de notre société. Rétrospectivement, j’ai eu peur, très peur…

Tourisme à Djerba : Idiotie et Aveuglement…

Ces p’tites réflexions sont parties d’un article de F. Allani intitulé « Tunisie: Tourisme à Djerba – Solutions réelles pour l’île des rêves » et publié au journal La Presse du 24/12/2008. L’article (repris entièrement plus bas) n’est rien de plus qu’un compte-rendu d’une table ronde organisée par l’Association Tunisienne de Développement Touristique autour du tourisme sur l’île.

Si l’on se fie au compte-rendu, la discussion n’a débouché sur rien qui pourrait bouleverser le paysage touristique Djerbien. Elle s’est plutôt contentée :

  • De souligner quelques problèmes bien connus tels que la prépondérance croissante de la formule « All-inclusive » avec ses effets d’homogénéisation (vers le bas) et de sanctuarisation, ou l’impact du tourisme sur l’écosystème de l’île ainsi que sur les comportements socio-économiques (entachés d’abus, d’agressivité et de manque de respect envers le visiteur) de certains intervenants non encadrés…
  • D’énoncer un certain nombre de vœux pieux : mettre l’accent sur le patrimoine culturel de l’île et/ou de la région, encourager l’incubation de micro-projets d’animation culturelle, lutter contre l’érosion du littoral…

Rien de stratosphérique, dans tout ça… Que du vieux.

En passant, je constate que le comportement inadmissible de certains visiteurs est passé sous silence. Je ne vois nulle part mention de la montée du tourisme sexuel déguisé (impliquant nos hommes, comme nos femmes)… D’ici peu, je consacrerai un « coup de gueule » à ce phénomène inquiétant.

La discussion laisse transpercer une certaine vision bassement matérialiste. Il est clairement question de petits sous et de rentabilité.
On rêve de construire des hôtels moins chers, d’avoir un meilleur accès au crédit et une fiscalité plus clémente. Mais on ne se préoccupe guère des retombées financières minimales dont doit profiter la société d’accueil.

On s’intéresse à la formation professionnelle des jeunes, mais on ne mentionne guère la gestion calamiteuse actuellement faite des ressources humaines (bas salaires, droits sociaux quasi-inexistants, appel exagéré à la prestation de services, cumul des CDD, appel régulier au chômage technique…).

On parle de lutte contre l’érosion du littoral. Mais on oublie de mentionner le dragage régulier de certaines zones de ce même littoral, ou le nettoyage au tracteur des algues marines s’accumulant (à certaines périodes) sur les plages des hôtels… Le client/touriste est roi, me dit-on.

On discute d’écologie, mais on ne s’inquiète guère des tonnes de détritus (bouteilles en plastique et couches pour bébés, en tête) qui jonchent la plage et la compagne…

La table ronde aurait pu s’arrêter là. J’aurais pu y voir une avancée non négligeable puisqu’elle a, au moins, le mérite de mettre en avant les soucis les plus flagrants (en espérant leur trouver des solutions, un jour), et de tenter de mieux cerner les problématiques complexes induites par le tourisme au sein d’un système éco-social.
Mais non… Les intervenants ont préféré s’enfoncer un peu plus dans leurs contradictions…
Ils appellent à la réalisation de parcours de golfe supplémentaires. Car c’est bien connu : la région ne sait plus quoi faire de ses ressources en eau, tellement ses nappes phréatiques sont importantes…
Là, ce n’est plus de la contradiction, mais de l’idiotie et de l’aveuglement.

Je ne peux que me rendre à l’évidence, encore une fois : le souci de préservation de l’environnement (écologique, culturel et social) et la course effrénée à la rentabilité financière sont deux choses incompatibles.

Ci-après, l’article en question…

Tunisie: Tourisme à Djerba – Solutions réelles pour l’île des rêves
Foued Allani – La Presse – 24 Décembre 2008

Une table ronde sur le bilan et les perspectives du tourisme dans cette destination-phare organisée par l’ATDT. Le bilan globalement positif du tourisme, à l’île de Djerba, ne doit pas occulter les problèmes existants ou pouvant surgir plus tard et qui pourraient compromettre sa position de destination-phare dans le tourisme mondial.
C’est, en tout cas, ce qui a pu se dégager du compte-rendu de la discussion autour d’une table-ronde organisée l’autre dimanche sur les lieux, par l’Association tunisienne de développement touristique (ATDT), tel que nous l’a rapporté M. Lotfi Khayat, président de l’Association.
Entrant dans le cadre d’une visite dans la région organisée par ladite organisation qui regroupe les anciens du secteur, le débat sur le tourisme à Djerba est survenu après une suite de débats similaires organisés par la même structure et ayant intéressé plusieurs régions et destinations, telles que tour à tour El Kef, Kairouan, Monastir
Animé par le président de l’ATDT, le débat sur le tourisme à l’île de Djerba auquel ont pris part les professionnels de la région a essayé de ratisser large. Il a, en effet, touché les produits et leur commercialisation, les ressources humaines, l’investissement, l’environnement naturel et humain.
Tels que formulés par le rapport final, les problèmes, dont bon nombres sont similaires à ceux dont souffrent d’autres régions, semblent sérieux. «Avec une typologie de commercialisation qui consolide la position dominante du tour opérateur européen», peut-on y lire.
A cela s’ajoute : «Une saisonnalité encore un peu marquée», et ce, malgré les multiples avantages du climat.
Toujours dans le volet gestion, la discussion a encore mis à l’index «la vogue» des formules de location des unités hôtelières à des opérateurs étrangers.
Résultat, une certaine déresponsabilisation du propriétaire vis-à-vis de son établissement. Celle-ci ne manquera pas d’avoir un impact négatif sur la pérennité de son produit.
Il y a eu aussi mise à l’index de la formule du «All inclusive», elle aussi en vogue et qui, selon le rapport, présente l’inconvénient de pousser à l’homogénéisation de la qualité des services «plutôt vers le bas». Cela sans oublier le fait qu’elle «limite le déplacement des touristes vers les espaces extra-hôteliers».
Les participants ont également soulevé le problème du régime de la taxation jugée élevée avec pour, entre autres impacts, une atteinte à la compétitivité du secteur.
Ils ont dénoncé d’un côté le coût de construction des hôtels qui, selon eux, est élevé par rapport à celui pratiqué même dans certains pays européens, tels que l’Espagne ou le Portugal.
La durée de réalisation d’un projet hôtelier, qui à Djerba serait de trois ans, n’est d’ailleurs que d’une seule année en Espagne, ont-ils fait remarquer.
Dans le même volet financier, le rapport cite le problème de l’endettement qui, selon les participants, «exige des mesures adéquates en vue de faire face aux contraintes actuelles et potentielles de la crise économique internationale».
Le rapport traite aussi des problèmes liés à la gestion des ressources humaines, notamment au niveau des compétences professionnelles.
Ils ont ainsi jugé le système de formation tant public que privé incapable de répondre aux besoins quantitatifs et qualitatifs du secteur. Ils ont dans ce volet précis cité le retard enregistré dans la mise à niveau de l’école hôtelière de Djerba. Retard qu’ils ont qualifié d’«inquiétant».
Plusieurs autres problèmes ont été soulevés, tels que l’absence de stratégie claire pour l’intersaison, la dégradation de l’écosystème de l’île, l’environnement humain entaché par certains comportements jugés néfastes (les beznessas par exemple), le manque d’exploitation des richesses culturelles et patrimoniales locales et régionales, le manque «flagrant» d’animation aussi bien diurne que nocturne.

Non au bradage des prix, oui pour la diversification
Se voulant positifs et pratiques, les participants ont énoncé un ensemble de recommandations touchant les volets évoqués.
Ils ont ainsi recommandé de lutter contre la tendance consistant au bradage des prix «dès les premiers signes de fléchissement de la demande touristique».
Ils ont appelé d’un autre côté à «l’élaboration d’un système d’incitation à l’investissement favorisant la création de micro-projets d’animation touristique et culturelle à la portée des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur».
Ils ont, par ailleurs, recommandé «davantage de concertation entre les professionnels de la région afin d’harmoniser les politiques commerciales».
Les participants ont également recommandé de revoir à la hausse les «budgets de publicité et de promotion afin de neutraliser le déficit en termes d’image», jugé «flagrant» et par là «stimuler les réseaux de vente».
Côté produits, ils ont appelé à la réalisation de parcours de golf supplémentaires, et ce, afin de répondre selon eux «à la forte demande d’une clientèle argentée, peu exposée aux effets de la crise économique mondiale».
Concernant la protection de l’environnement, les participants ont recommandé de lutter contre le phénomène de l’érosion du littoral qui «risque de menacer la qualité des plages, principal atout touristique» de l’île.
Ils ont également appelé à «l’adoption d’une vision d’aménagement durable préservant les équilibres naturels des nouvelles zones protégées de Lella Hadhria à Djerba et Lella Halima à Zarzis».
Les participants à la table ronde ont enfin recommandé «la mise en place d’un mécanisme de concertation et de coordination entre le ministère du Tourisme et celui de la Culture» pour que, selon eux, «le tourisme culturel ne reste par une simple vue de l’esprit» et pour qu’il puisse participer «à la dynamique touristique régionale».

Le dromadaire ne voit guère sa bosse…

Lundi 9/3/2009, dans un entretien publié par « Le Parisien », le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer Yves Jégo qualifie de « dérapage verbal inadmissible » les propos tenus par le porte-parole du LKP Elie Domota contre les patrons blancs qui refusent d’appliquer l’accord sur l’augmentation des bas salaires.

Le jeudi précédent, le leader du LKP Liyannaj Kont Pwofitasyon (Ensemble contre la surexploitation) aurait déclaré en créole (je ne garantie guère la traduction): «Soit ils appliqueront l’accord, soit ils quitteront la Guadeloupe. Nous sommes très fermes sur cette question là. Nous ne laisserons pas une bande de békés rétablir l’esclavage», a ajouté le leader du LKP. Une référence directe aux descendants de colons blancs, accusés de monopoliser les richesses, qui ravive le spectre de tensions raciales dans une île à l’histoire marquée par l’esclavage.

Le lendemain de ces déclarations (la justice peut être rapide quand elle le veut bien !), le parquet de Pointe-à-Pitre a annoncé l’ouverture d’une enquête judiciaire, notamment pour provocation à la haine raciale et tentative d’extorsion de signature.

M. Jégo ajoute «Quelle que soit l’intensité d’un conflit social, dire à une catégorie de la population ‘faites ça ou partez’ n’est évidemment pas acceptable. Il faut que chacun revienne à l’esprit républicain »
Interrogé sur l’enquête judiciaire pour provocation à la haine raciale ouverte par le parquet de Pointe-à-Pitre, « la justice doit faire son travail. Les lois de la République sont les mêmes pour tout le monde », a-t-il réagi.
Mais bien sûr… Comment une telle vérité fondatrice aurait pu m’échapper si longtemps ? Les lois de la République sont les mêmes pour tout le monde.

Connaissez-vous une seule autre personne ayant proférer des paroles aussi polémiques que celles de M. Domota sans être inquiétée par la justice ?

Malheureusement, j’en connais au moins une, et de taille !!! Ce qui me fait dire que M. Jégo navigue quelque part entre le mensonge, l’hypocrisie et l’amnésie volontaire…

Les paroles de M. Domota, aussi polémiques soient-elles, seraient-elles vraiment différentes de celles prononcées par notre cher président, le 22 avril 2006, devant les nouveaux adhérents de l’UMP (à l’époque, il était ministre de l’intérieur) : un mélange détonnant de démagogie et de xénophobie qui a fait un tabac auprès des quelques 2000 personnes venues s’en abreuver… «S’il y en a que cela gêne d’être en France, qu’ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu’ils n’aiment pas» a-t-il lancé. Cette phrase rappelle le slogan de Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France (MPF) : « La France, tu l’aimes ou tu la quittes »

A ma connaissance, M. sarkozy n’a jamais été inquiété. Il s’est même permis de remettre une couche dans un discours prononcé à Agen (le 22/6/2006), en tant que candidat à l’élection présidentielle de 2007 : « Ceux qui n’aiment pas la France, ceux qui exigent tout d’elle sans rien vouloir lui donner, je leur dis qu’ils ne sont pas obligés de rester sur le territoire national ». Il a aussi dénoncé pêle-mêle « ceux qui ont délibérément choisi de vivre du travail des autres, ceux qui pensent que tout leur est dû sans qu’eux-mêmes ne doivent rien à personne (…), ceux qui, au lieu de se donner du mal pour gagner leur vie, préfèrent chercher dans les replis de l’Histoire une dette imaginaire que la France aurait contractée à leur égard (…), ceux qui préfèrent attiser la surenchère des mémoires pour exiger une compensation que personne ne leur doit plutôt que de chercher à s’intégrer par l’effort et par le travail. »

On ne prospère que dans un bourbier…

Dans ses Exercices négatifs (Ed. Gallimard, première version, manuscrite, inaboutie, de son Précis de Décomposition, paru en 1946), l’écrivain roumain E. M. Cioran(*) nous dit :

« Tous les malheurs des hommes commencent dès que finissent leurs échecs. A partir de ce moment, ils ne redoutent plus de se perdre, et ils trahissent leur nature, et se perdent. On ne prospère que dans un bourbier ; on s’enlise sur le trône. Les plus grands vaincus sont ceux qui ont réussi. Car tous les vices réunis dans un seul homme ne sauraient le pervertir autant que la gloire. »

Je ne peux que savourer ces paroles intemporelles… Suivez mon regard et vous comprendriez.

(*) Cioran est celui-là même qui déclara avoir passé sa vie à recommander le suicide par écrit, et à le déconseiller par oral (car dans le premier cas cela relève du monde des idées, alors que dans le second il avait en face de lui un être de chair et de sang)… un écrivain-philosophe dont le pessimisme n’avait d’égal que son scepticisme.

Une génération perdue pour la paix… Encore une.

«Quand je serai grande, je rejoindrai la résistance. Car on ne m’a rien laissé d’autre pour le reste de ma vie.» : Ceci est la réaction d’une gamine de 13 ans à la dissémination de sa famille par les soldats de Tsahal (Libération – 23 Janvier 2009). Avec ses exactions commises à Gaza, Israël s’est mise à dos toute une nouvelle génération de palestiniens… Une génération qui, jusqu’à hier, paraissait capable de transgresser le poids de l’histoire collective, est aujourd’hui perdue (et pour toujours) pour la paix. Tablant sur une espérance de vie de 60 ans parmi la population palestinienne, Israël a simplement semé les graines de la haine et du désespoir qu’elle récoltera au fil des 45 prochaines années.
A la veille des accords d’Oslo, j’ai pu rêvasser d’une paix durable et juste… A l’époque, du haut de mes vingt ans, je me rendais déjà compte de la complexité de ce conflit, de l’impossibilité de changer les faits établis, et donc de la nécessité d’une cohabitation équitable. L’histoire a un poids qu’on ne peut déplacer… Vingt ans plus tard, Israël (du moins, en partie) n’a toujours pas atteint la maturité intellectuelle d’un gamin de vingt ans, encore moins son pragmatisme. C’est malheureux de le constater…
Vingt ans après, avec ce qui s’est passé à Gaza, je me suis surpris, pour la première fois de ma vie, en train de penser que dans ces conditions, et sans changement de cap, Israël ne sera plus là dans vingt ou trente ans. Israël sera emportée par ses propres aberrations. C’est bien un pronostic froid et neutre que je fais ici. Aucune haine, aucune rage, aucun sentiment, rien d’autre qu’une projection rationnelle… Ce n’est qu’une suite logique des conneries qu’on laisse s’accumuler depuis des décennies.
Ceux qui me connaissent savent très bien que, venant de ma part, un tel pronostic est aussi neutre que de penser que le S&P500 va encore dégringoler de 300 points : une suite logique des aberrations passées…

Ceci est l’article dont je parle… (Libération – 23 Janvier 2009)

Gaza. Retour sur les lieux d’une attaque de Tsahal dénoncée par les organisations humanitaires.

Les Samouni, famille brisée par un «crime de guerre»
ZEITOUN (bande de Gaza), envoyé spécial JEAN-PIERRE PERRIN

[Ce sont les adolescents qui racontent le mieux ce qui s’est passé les 4 et 5 janvier à Zeitoun, une petite ville proche de Gaza et de la frontière avec Israël. Des filles comme Almaza Samouni, 13 ans, qui a perdu sa mère, Leïla, ses quatre frères, Ismaïl, Isaac, Nassar et Mohammed, et plusieurs cousins et cousines. Ou Kanaan Attia-Samouni, 12 ans, qui a vu un soldat israélien tirer quasiment à bout portant sur son père devant la porte de sa maison, puis sur son petit frère Ahmed, tué d’une balle dans la tête. Les Samouni, une famille d’agriculteurs plutôt aisés, perdront – d’après nos informations – 22 des leurs dans ce que les organisations humanitaires considèrent comme un «crime de guerre délibéré». Parmi eux, neuf enfants et sept femmes. Sept autres parents plus éloignés, dont trois enfants et deux vieillards, seront aussi tués. Si l’on fait le bilan des victimes, ce sont plus de 70 personnes qui ont trouvé la mort ou ont été blessées. Le bilan fourni hier par Amnesty International, qui enquête à Gaza, est encore plus lourd : 40 tués, dont 33 pour la famille Samouni.

«Les bras levés». La longue avenue Saladin, qui mène au hameau, apparaît déjà comme la prémonition du désastre. Un tsunami semble avoir remonté la rue, détruisant sur plusieurs kilomètres maisons, mosquées, ateliers, usines. La fabrique de jus de fruits Star a brûlé. Même sort pour Palestine Automobiles, le principal garage de voitures d’occasion. Des vergers entiers d’oliviers et de palmiers ont été déracinés. Une petite rue mène ensuite au hameau : deux maisons très abîmées mais debout, quelques autres par terre. La mosquée a rendu l’âme. On ne la reconnaît que parce que le chapeau du minaret trône au milieu des décombres. L’endroit pue la charogne. Des centaines de volailles, mais aussi des vaches, des ânes et chèvres, gisent sur le sol. On piétine l’intimité des maisons : le linge, les vêtements, les tenues nuptiales, les photos de famille, les livres d’enfants, les meubles, tout a été jeté à la rue et mêlé à l’ordure. A l’intérieur de l’une des demeures survivantes, où les soldats s’étaient installés, tout a été souillé. On a percé les murs pour faire des meurtrières, les sacs de sable sont encore dans l’escalier. On a écrit aussi sur les murs, en anglais ou en hébreu : «Arabs need 2 die» («les Arabes doivent mourir»), «Arabes vous pouvez courir mais pas vous cacher». Un dessin représente une tombe : «Arabes : 1948-2009.»

Drap blanc. C’est le 4 janvier, vers 6 heures du matin, qu’une unité israélienne prend possession du hameau. La famille Attia-Samouni est alors réunie autour du thé. Quand le père, Attia, 45 ans, entend les soldats s’approcher, il sort sur le pas de la porte en criant «S’il vous plaît, ne tirez pas, il y a des enfants.» Il tombe aussitôt foudroyé. «J’ai vu celui qui a tiré. C’était un soldat africain [d’origine éthiopienne, ndlr]. Mon père avait les bras levés», raconte Kanaan. Des «bombes de feu» – sans doute des grenades fumigènes – sont ensuite lancées dans la pièce où s’était installée la famille, en tout 18 personnes. Les explosions referment la porte, fracassée la seconde suivante par des rafales, – on peut voir les impacts sur les murs. Il y a aussi du sang, celui de Ahmed, 4 ans, tué par balle. Sa mère, Zahwa, qui tient un bébé de 10 jours, est aussi touchée mais assez légèrement. «A cause de la fumée, on ne pouvait plus respirer. Le nez des enfants saignait», dit-elle, Puis, les soldats leur ordonnent de sortir et d’aller jusqu’à la route. «Ils criaient : « On va tous vous tuer, allez à la mort. » Avant, ils nous ont obligés à enlever nos vêtements. Comme si des enfants pouvaient cacher des armes.» La maison des Attia sera ensuite détruite au bulldozer.
Quand on demande à Almaza, l’orpheline de 13 ans, où est sa maison, elle répond «mais vous marchez dessus». Un engin a tellement aplati la demeure qu’on ne la distingue plus de l’amoncellement de caillasses et de fange qui s’étend alentour. Almaza, a fait partie du groupe de 90 personnes que les soldats ont rassemblé et poussé vers un entrepôt. Ils y resteront vingt-quatre heures. «Il n’y avait rien à manger, rien à boire, pas de lait pour les bébés.» Alors le lundi 5 janvier, vers 6 h 30 du matin, quelques personnes bravent l’interdiction pour essayer de trouver des provisions. A peine ont-ils ouvert la porte qu’un missile est tiré sur la maison, suivi d’un deuxième une minute plus tard, puis d’un troisième. A l’intérieur, c’est l’horreur. Du sang et de la fumée partout. Derrière un drap blanc, les survivants parviennent à sortir. Parmi eux, Waed Samouni, père de six enfants, blessé à la tête, dont les parents ont été tués. S’il parvient à s’enfuir avec quatre de ses fils, il est obligé d’abandonner sa fille Aza, 3 ans, et Omar, 4 ans, dans l’entrepôt détruit. «Omar est resté deux jours à côté de sa petite sœur morte. Quand on l’a retrouvé, il ne voulait pas partir sans elle.»

«Résistance». Car ce n’est que le 7 janvier que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) parviendra à secourir les blessés, l’armée israélienne empêchant ses ambulances d’accéder à Zeitoun. L’interdiction provoquera la colère de Pierre Wettach, chef de la délégation du CICR, qui, fait exceptionnel, sort de sa réserve : «Les militaires israéliens n’ont pas fait en sorte que le CICR ou le Croissant-Rouge puissent leur venir en aide, ni respecté leur obligation de prendre en charge les blessés, comme le prescrit le droit international humanitaire.» Les survivants enfin évacués, l’entrepôt sera rasé. Avec les cadavres à l’intérieur. Almaza, elle, vient chaque jour errer sur les ruines : «Quand je serai grande, je rejoindrai la résistance. Car on ne m’a rien laissé d’autre pour le reste de ma vie.» ]