Une énorme caisse de résonnance

La révolte populaire semble se propager comme un feu de paille, consumant les potentats arabes à la queu leu leu. Le vent de contestation s’amplifie un peu partout. On me parle de contagion, je parle plutôt de résonnance… celle évoquée par J.M. Gleize : « un mouvement révolutionnaire ne se répand pas par contamination. Mais par résonance. Quelque chose qui se constitue ici résonne avec l’onde de choc émise par quelque chose qui s’est constitué là-bas ». Le souci est que la caisse de résonnance est énorme, encore plus qu’elle n’y paraît à première vue…

A entendre les médias occidentaux faire l’apologie de l’insurrection et des émeutes, je doute de leur capacité à imaginer le même phénomène frapper leurs rivages. Les poussées de fièvre révolutionnaire sont admirables tant qu’elles restent cantonnées de l’autre côté de la méditerranée, tant que son lot de réfugiés, d’immigrés clandestins ne vienne troubler notre quiétude et tant qu’elles ne touchent pas les zones sensibles (par leur pétrole) du Moyen-Orient. Le révolté mis sur un piédestal là-bas serait un anarchiste, un saboteur, un anachronique  méritant toutes les démences sécuritaires.

Tout le monde aurait préféré des revendications sans révolte. Tout le monde espère une transition ordonnée. Tout le monde rêve d’une « soft revolution » qui renverse l’ordre des préséances sans faire de remous. Tout le monde s’obstine à oublier que le processus révolutionnaire, bien que générateur d’espoir, n’est pas maitrisable, qu’il n’y a aucune garantie quant à ses résultats, ni contre ses dérives. Il ne faut pas, pour autant, le condamner car ça serait condamner l’espoir en chacun de nous…  Et puis, n’oublions pas que « quand il s’agit de liberté, d’égalité, d’émancipation, nous devons tout aux émeutes populaires » (attribuée à Marat par Alain Badiou dans « Tunisie, Egypte : quand un vent d’est balaie l’arrogance de l’Occident », Le Monde du 18/2/2011)

La révolution est en marche… Je vous l’avais dit !

Dar Gaïa, ou comment lancer des chambres d’hôtes par temps de révolution

 

Gaia_LogoCertains parmi vous n’y croyaient plus… Moi non plus d’ailleurs…

Des années que je vous rabâche les oreilles avec mon retour aux sources (et aux trucs les plus basiques) et le lancement de notre seconde résidence militante. Je vous gonflais, aussi régulièrement que je pouvais, avec la révolution qui couve (au niveau global) et l’implosion du Système…

Là, c’est chose faite. Ma tribu est en Tunisie depuis l’été 2010. Les coups de boutoir du p’tit peuple ont eu raison d’un régime qui, il y a deux mois seulement, était donné pour éternel (mais ne vous méprenez pas… la révolution globale continue à suivre son p’tit bonhomme de chemin). Le projet Tingitingi a profité de ces temps mémorables pour accoucher de Dar Gaïa, redonnant vie à un Menzel (habitat traditionnel d’ici) qui, depuis des décennies, n’en finissait plus de s’enfoncer dans sa léthargie.

DSC00126Dar Gaïa a été nommée ainsi en hommage à la Terre-Mère, la Pacha Mama, terre nourricière, mère primordiale, source et aboutissement de tout (et là, j’entends certains parmi vous marmonner « Mais qu’est ce qui nous prend la tête, celui là ! »)

Avec Dar Gaïa, nous espérons, encore une fois (après Oxala House), jouer à la mouche du coche avec les mastodontes du tourisme de masse (comprenez : les faire chier), empiéter sur leur plate-bandes bordées de « all-inclusive », et vous donner un regard alternatif sur Djerba, le berceau de ce qu’on a inventé de pire en terme de tourisme…

DSC00003BL’exploitation effective de Dar Gaïa et de ses chambres d’hôtes a démarré fin décembre 2010.
Comme vous pouvez le constater, je me suis permis de vous mettre dans ma toute première boucle. Et si je vous envoie ce grand pipeau, c’est que, bien évidemment, je serai ravi de vous compter parmi mes premiers clients.
Dans tous les cas, je compte sur vous pour faire fonctionner le système de bouche à oreille (oh combien merveilleux et pas cher !) auprès des personnes que vous jugez cool, sympa, intellectuellement intéressantes et surtout acquises (car j’ai abandonné toute idée de  refaçonner le monde !) à l’esprit que Dar Gaïa tente de véhiculer.

Pour toute demande d’information, réservation (je peux toujours rêver !), modification d’information vous concernant (adresse e-mail, coordonnées…) et/ou envie de m’envoyer buller, m’envoyer une blague de cul ou carrément casser la part du rêve en moi, veuillez me contacter surdargaia@tingitingi.com

Dar Gaïa est visible sur son site web : http://dargaia.tingitingi.com

Des photos de Gaïa sont disponibles ici

Quant à nos brochures, elles sont là GaiaFlyer (pour le descriptif, et le pipeau qui va avec) et là GaiaRates (pour les tarifs… Eh oui, c’est pas gratis :)

A bientôt, ici ou ailleurs,
Zouheir

PS : En Septembre 87, j’ai quitté la Tunisie pour poursuivre mes études en France. Ben Ali a profité de ce vide immense que j’ai pu laisser. Il a mis à peine 2 mois pour s’installer sur son trône. En Août 2010, j’ai rapatrié mes femmes en Tunisie. Je suis sûr qu’il en a eu vent, qu’il a eu la frousse de sa vie (de mes p’tites femmes, sûrement… et il avait raison) et qu’il a décidé de déguerpir fissa. Quatre mois, à peine, après notre retour, son trône a commencer à vaciller grave. Le pire, c’est qu’il a tenté de venir prendre ma place en France… Heureusement que vous étiez là pour l’en empêcher et l’envoyer méditer sur son quart de siècle de conneries, plus loin…

PS 2 : Je profite de ces moments révolutionnaires pour rendre hommage à l’architecte de ces lieux, mon tonton Tahar qui a m’a inculqué l’amour de cette île, l’amour de la lecture (et l’esprit critique qu’elle cultive), de l’Histoire et de la vieille pierre. Les dérapages obscurantistes du régime déchu l’ulcéraient. Il nous a malheureusement quittés sans pouvoir s’extasier devant la chute finale, et pouvoir contempler son œuvre (le chantier Gaïa)…  Dans nos cœurs, il a laissé un vide immense.

PS 3 : Pou rappel, Oxala House est visible sur www.tingitingi.com, le fameux blog déguisé en site, avec ses coups de gueule qui ne servent à rien et ses états d’âme un peu neuneu…
Oxala House est joignable par mail : info@tingitingi.com

Vous pouvez aussi faire dans le social et suivre sur Twitter (on a voulu faire comme Sarko, notre idole de toujours !) nos pérégrinations intellectuelles (ou qui se croient ainsi) et/ou nos déambulations dans les dédales de la désinformation : http://twitter.com/Tingitingi

Que l’espérance est violente !

« Ce n’est pas toujours en allant de mal en pis que l’on tombe en révolution. Il arrive le plus souvent qu’un peuple qui avait supporté sans se plaindre, et comme s’il ne les sentait pas, les lois les plus accablantes, les rejette violemment dès que le poids s’en allège. Le régime qu’une révolution détruit vaut presque toujours mieux que celui qui l’avait immédiatement précédé, et l’expérience apprend que le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer. Il n’y a qu’un grand génie qui puisse sauver un prince qui entreprend de soulager ses sujets après une oppression longue.Le Mal qu’on souffrait patiemment comme inévitable semble insupportable dès qu’on conçoit l’idée de s’y soustraire. » (Alexis de Tocqueville. L’ancien régime et la révolution, 1856)

C’est un peu se qui semble se dérouler sous nos yeux. L’étincelle tunisienne a enflammé la plaine. La mèche de la révolte arabe se consume. Les gouvernants sont pris dans un vent de panique et tentent, par tous les moyens, de désamorcer la crise qui risque de leur être fatale. Le carcan autoritaire qu’ils ont su imposer durant des décennies s’effrite à vue d’œil. La trouille les pousse à se réformer, devenant ainsi un peu plus vulnérables aux mouvements d’une foule qui puise son énergie dans sa perception de cette vulnérabilité.
« Que l’espérance est violente ! » disait Apollinaire.

Ce qui semblait impossible hier, paraît inéluctable aujourd’hui…

Ce qui semble aujourd’hui bien cantonné au monde arabe, ne peut-il pas, demain, se propager comme une traînée de poudre, un peu partout ?

Ce vent de contestation ne serait-il pas le premier souffle de la tornade qui guette ce putain de Système, dans son ensemble ?
Car, ici comme là-bas, nous croulons sous les despotismes les plus divers, politiques mais surtout socio-économiques.

Ici comme là-bas, nous sommes broyés par une machine fantastique, inhumaine alliant uniformisation marchande, financiarisation étouffante, conformisme intellectuel, matraquage démagogique, et encerclement systématique de toute tendance rebelle.

Ici comme là-bas, les disparités grossissent à vue d’œil. Les injustices et l’arbitraire aussi. Le tout avec la bénédiction d’une classe dirigeante au ras des pâquerettes, intellectuellement corrompue, nombriliste et populiste à merveille, trempant dans le clientélisme et l’incompétence, et qui semble planer au-dessus des lois, de la déonthologie et des sanctions.

La jeunesse arabe est sortie de sa torpeur. A quand le tour de nos sociétés occidentales relativement nanties et bien pensantes ?

Confucius disait « Quand le sage montre la lune, le sot voit le doigt. ». Tachons donc de regarder la lune et non le doigt !

Ras le bol de la sérénade du miracle tunisien…

Fin 2009, je n’ai pu m’empêcher de réagir (sous un nom d’emprunt, bien évidemment…) à un article du Monde, traitant de la Tunisie et qui m’a semblé mal documenté et peu objectif. Un article qui puait l’eau de rose… Compte tenu des événements récents, il m’a semblé marrant de ressortir ce courrier de mes cartons… Je profite bien évidemment de ce vent de libertés retrouvées qui souffle sur notre pays. Pourvu qu’il dure… Dans le cas contraire, et faux-cul comme je suis, je nierai toute implication dans l’échange qui suit.

Moi :

Je reviens sur votre article intitulé « En Tunisie, une réussite économique mal partagée »,paru dans votre édition du Samedi 24 octobre 2009. Je ne peux que m’indigner devant son caractère simpliste qui frôle la niaiserie.

L’article ne fait preuve d’aucune analyse, d’aucune remise en cause, d’aucun recul vis-à-vis de la façade officielle que le pouvoir tunisien a toujours tenu à mettre en avant. Jusqu’au dernier petit paragraphe (où l’unique note discordante est apparue), j’ai cru y reconnaitre un article publicitaire commandé par le Ministère Tunisien des Affaires Etrangères, à la gloire de « l’artisan du changement » (le président Ben Ali). Dans son article, votre envoyée spéciale se contente de nous donner la sérénade officielle : un taux de chômage de 15%, un smic de 130 euros et un pays « soigneusement géré alors qu’il ne dispose pas de la manne fabuleuse en hydrocarbures de ses voisins ».  Au risque de vous paraître dur et intransigeant, son article n’aurait jamais dû nécessiter sont déplacement sur place.

Pourtant, votre envoyée spéciale aurait pu « rentabiliser » son empreinte écologique pour :

  • Se rendre compte que l’ampleur effective du chômage dépasse de loin ce qui est véhiculé par les chiffres officiels. Il lui suffisait de se balader en ville (de préférence, dans les zones touristiques telles que Sousse ou Djerba où le travail saisonnier est plus la règle que l’exception) et d’observer les hordes humaines désœuvrées sur les terrasses des cafés, à toutes heures de la journée (voire de la nuit). Car, en marge de ce chômage «officiel» existe un problème de sous-emploi chronique difficile à estimer. Les autorités tunisiennes se targuent d’avoir réussi à baisser le chômage de 17% à 14% en quelques années, en contradiction flagrante avec l’analyse de la Banque Mondiale qui estime que le nombre d’emplois créés chaque année reste insuffisant au regard de l’augmentation de la population active (85 000 personnes arrivent sur le marché du travail pour seulement 60 000 à 65 000 postes supplémentaires). En fait, le secret du « miracle tunisien » réside dans la caractérisation de la population active occupée telle que pratiquée par l’Institut National des Statistiques (INS). Il vous suffit d’aller sur leur site internet pour vous en convaincre. En 2004, l’INS a modifié sa méthodologie de calcul par souci de « conformité avec les recommandations du Bureau International de Travail (BIT) en matière de concepts et de définitions des indicateurs d’emploi et de chômage ». Selon l’INS, est considérée comme chômeur toute personne âgée de 15 ans et plus n’ayant pas travaillé au cours de la semaine de référence, qui cherche activement un emploi et qui est disponible pour commencer à travailler dans les deux semaines. Cette définition est plutôt cohérente avec celle adoptée par le BIT. Cependant, selon l’INS, est considéré comme actif occupé toute personne âgée de 15 ans et plus ayant travaillé au moins un jour (ne fut-ce qu’une heure) au cours de la semaine de référence. C’est là que le bât blesse. Une personne ayant travaillé une heure durant la semaine de l’enquête est considérée comme active ! Quand on sait que le taux de chômage correspond au nombre de chômeurs en pourcentage de la population active (regroupant l’ensemble des personnes occupées et des chômeurs), on comprend mieux la magie des chiffres officiels tunisiens.
  • Sentir le caractère destructeur du chômage tunisien qui touche essentiellement les jeunes et, de plus en plus, les jeunes diplômés. Selon l’enquête nationale sur la population et l’emploi de 2008, la composition des sans-emploi a profondément changé, ces dernières années, aux dépens des diplômés du supérieur. Parmi ces derniers, le taux de chômage dépasse les 20% (voire les 30% pour les femmes). Les chômeurs titulaires d’un diplôme universitaire (116 000 en 2008) représentent environ 20% de la population active inoccupée. En outre, les jeunes sont ceux qui paient le plus lourd tribut au chômage. Plus de 70 % des chômeurs sont âgés de moins de 30 ans.
  • Voir que le smic tunisien est souvent une vision de l’esprit, un seuil abstrait que beaucoup d’employeurs ne respectent pas, sans qu’ils soient inquiétés par quiconque. Il suffisait, pour ceci, de pousser la porte d’un magasin ou deux et de discuter avec les vendeuses qui croupissent derrière pour la moitié d’un smic. Il est de notoriété publique que ces employeurs indélicats préfèrent embaucher des femmes, car plus faciles à canaliser, à satisfaire, à exploiter…
  • Constater que le pays est géré comme un conglomérat géant dont le seul actionnaire-gérant effectif est la famille régnante (les Ben Ali, Trabelsi, Chiboub et autres El-Materi…). Cette famille étendue s’est accaparé toutes les richesses du pays. Vous pourriez me dire que gérer un pays comme une entreprise n’est pas forcément une mauvaise idée (au sommet de l’état français, certains y ont déjà adhéré !)… Certes, mais le souci majeur est que la famille régnante semble agir dans une seule optique : s’approprier les actifs valables (mais pas les dettes qui vont avec) et en disposer à volonté, assurer petit à petit leur sortie du territoire (sous forme de devises sonnantes et trébuchantes placées dans les banques occidentales), plomber au passage le bilan des banques publiques, et enfin être prête à laisser, le moment venu, le bout qui reste aller vers la faillite.
  • Se poser de vraies questions sur l’état lamentable du système bancaire. Le taux de créances douteuses atteint 22% (environ 6% en France) et elles ne sont que faiblement provisionnées, autour de 40% (au lieu des 80 à 90% habituels en Europe). Est-ce signe d’une bonne gouvernance ?
  • Se rendre compte du climat d’incertitude/insécurité juridique (pour ne pas dire de non-droit) qui règne dans les milieux des affaires. Un rapport de la Banque mondiale daté de juin 2004 avait épinglé les « interventions discrétionnaires du gouvernement » et le « pouvoir des initiés » qui gangrènent le tissu économique.

Il est grand temps d’arrêter de fredonner la chansonnette (quelque peu lassante) du miracle tunisien…
Devrons-nous attendre un cataclysme pour s’y résoudre ?

Le Monde :

La réponse de la rédaction du Monde ne s’est pas faite attendre. L’auteur de l’article (Florence B.) m’a fait une réponse peu convaincante :

« Des lecteurs tels que vous sont décidemment décourageants…. Ainsi, je serais quasiment là pour faire la propagande de Ben Ali ???? Je ne sais même pas si cela vaut le coup de vous répondre….
Lisez donc les deux reportages qui précèdent et accompagnent ce papier économique (au total il y en avait trois). Le 23 octobre : En Tunisie, il y a ceux qui profitent du système et ceux qui enragent d’en être exclus ». Et le 26 octobre, « Le parcours fulgurant de Sakhr El Materi, le gendre tu président tunisien ».  »

Moi :

Or je n’aime guère que la balle reste dans mon camp. Ma réponse est partie toute seule et restée, cette fois-ci, lettre morte :

Chère Florence,

Je me suis posé exactement la même question : Serait-il utile que je vous réponde ?

En fait, j’ai lu tous vos articles, absolument tous. Et je n’ai réagit qu’à un seul pour la simple raison qu’il me paraissait niait et simpliste au point de sembler (je dis bien sembler) complaisant. Je ne remets nullement en doute votre intégrité intellectuelle. Mais, permettez moi de trouver votre analyse économique (et c’est peut-être là, le problème) de la situation tunisienne un peu trop « bateau » ! Il faut dire qu’elle ne se distingue en rien (d’où peut-être ma réaction épidermique) de l’essentiel des commentaires qu’on voit par ci par là sur le miracle tunisien, sur le dragon de l’Afrique, sur la pertinence des choix économiques de ce p’tit pays (et surtout de son président dictateur)…

Le pouvoir tunisien a su, durant toutes ces années, se montrer sous son meilleur profil, se vanter de ses réussites économiques (alors que tout tourne à crédit et que les créances douteuses auront bientôt raison de l’ensemble) et de ses choix en terme de mixité et d’enseignement (alors qu’il ne fait que dilapider l’héritage Bourguibien).

Un poker menteur qui s’achèvera dans un bain de sang… [ce n’était pas sorcier de le voir, justement !]

Un autre point pourrait expliquer ma rogne (en tant que fidèle lecteur du Monde) : Vous ne parlez de la Tunisie que tous les cinq ans à l’occasion des élections… Et ce n’est sûrement pas avec cette approche épisodique qu’on arrivera à mettre la pression sur ce régime.

Voilivoilou, je me suis expliqué… Si vous passez en Tunisie, faites-moi signe et je vous montrerai que mes attaques n’ont rien de personnel…

Au plaisir de vous (re)lire.

Sur le bord de la rivière Complaisance, je me suis assis et j’ai pleuré…

Dehors, c’est l’état d’urgence et le couvre-feu.
Des coups de feu retentissent au loin…

La révolte du petit peuple a enfin eu raison de la dictature la plus brutale, de l’état policier le plus sombre et le plus arbitraire. Les balles, les tabassages, les exactions de tous genres n’ont guère réussi à l’arrêter. Jusqu’au bout il a cru à l’accessibilité de la liberté. Et il a eu raison… Notre autocratie kleptomane donnée pour éternelle est enfin tombée. Le kleptomane en chef a choisi la fuite. Petit, il a été. Petit, il restera à jamais.

L’Histoire ne retiendra qu’un seul nom : Mohamed Bouazizi, le jeune diplômé, vendeur ambulant de fruits et légumes malgré lui, qui s’est immolé par le feu pour protester contre la confiscation de sa marchandise, et l’humiliation qui s’en est suivie. En quelques sorte, c’est notre Jan Palach Tunisien, qui par son geste désespéré a mis le feu au poudre. Sa mort a été le catalyseur tant attendu.Devant Bouazizi, Ben Ali paraitra encore plus petit.

L’Histoire mentionnera Sidi Bouzid comme le berceau de la révolte populaire (certains l’appelle déjà la révolution de jasmin, comme si tous les Tunisiens ont déjà connu la douceur de vivre au pays du jasmin…), initiée par des gens insoumis, fiers et intègres, qu’il ne fallait surtout pas pousser à bout.

Durant cette révolution, rares sont les voix qui se sont élevées en Occident (en Europe, encore moins qu’aux Etats-Unis) pour condamner la brutalité du régime et soutenir ce petit peuple dans ses aspirations de liberté. Un silence assourdissant qui m’a débarrassé de mes dernières illusions. Une frilosité hallucinante (mais coupable) à condamner la répression. Au-delà des discours étincelants (mais vides… un pipeau intégral qui me fait bien marrer) sur les libertés fondamentales et les droits de l’homme, l’Occident en général, et la France en particulier, ne se mouilleront jamais pour que la démocratie devienne la norme dans les pays du Sud. Pire. Au nom d’une real-politik de merde (qui leur pètera à la gueule d’ici peu, croyez-moi), ils multiplieront les complaisances envers les régimes les plus sanguinaires. Derrière des raisons d’Etat d’un autre âge, hypocrisie planétaire qui tue, ils se cacheront indéfiniment…

Durant ces quelques semaines de révolte, des dizaines de pauvres gars ont payé de leur vie le silence des démocraties environnantes. Celles-ci ne pouvaient apparemment hausser le ton contre celui qui s’est vendu comme leur dernier rempart contre l’islamisme. Et c’est bien connu : on ne fait guère d’omelette sans casser des œufs (et les oeufs, ce sont nous !).

En France, le silence de la classe politique a été ponctué par des déclarations stupéfiantes (que j’ai collectionnées au fil du temps, sans vraiment penser pouvoir les ressortir de si tôt) :

Celle de Frédéric Mitterrand « Dire que la Tunisie est une dictature univoque, comme on le fait si souvent, me semble tout à fait exagéré ». J’adore la notion de « dictature univoque »… il faudrait juste qu’il l’explique à M Abbou, avocat critique du régime, emprisonné pour un article sur internet, et qui a choisi de se coudre les lèvres avec des agrafes pour attirer l’attention du monde sur l’état des libertés en Tunisie. Ceci a eu lieu, en 2005, à la veille du Sommet mondial sur la société de l’information, organisé par l’ONU en Tunisie… oui oui, vous avez bien entendu, en Tunisie, terre de toutes les libertés !

Celle de Bruno Le Maire estimant que « Ben Ali est souvent mal jugé », ou encore celle de François Baroin avec sa démagogie à deux sous : « Déplorer les violences, appeler à l’apaisement, faire part de ses préoccupations, c’est une position équilibrée que défend aujourd’hui la France au regard de la situation tunisienne ».

La déclaration de MAM mérite, à elle seule, la palme d’or du laconisme. Devant l’Assemblée, elle a osé sortir « Plutôt que de lancer des anathèmes, notre devoir est de faire une analyse sereine et objective de la situation », « la priorité doit aller à l’apaisement après des affrontements qui ont fait des morts » (ah bon ?!), « le savoir-faire reconnu dans le monde entier, de nos forces de sécurité permet de régler des situations sécuritaires de ce type. […] C’est la raison pour laquelle nous proposons effectivement aux deux pays (elle veut dire la Tunisie et l’Algérie) de permettre, dans le cadre de nos coopérations, d’agir pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l’assurance de la sécurité ». Vous l’avez bien compris : Devant les revendications sociales et politiques d’un peuple dont les libertés ont été purement et simplement confisquées durant 55 ans, MAM propose d’exporter ses CRS. Heureusement que le ridicule ne tue plus !

Je me rappelle parfaitement du voyage de Sarkozy en Tunisie (avril 2008), accompagné de sa chouchoute (là, je ne peux m’empêcher de penser à Cabu qui, parlant de Carla, dit que c’est un personnage super facile à dessiner : « Tu dessines une saucisse et pour les cheveux tu rajoutes de la choucroute. Et tu obtiens la 8e merguez du monde. », Le Monde du 12/1/2011), de MAM, de Brice et de Rama (je parie que depuis, cette dernière a complètement zappé ce trip de son subconscient). Que du beau peuple… Et que de belles paroles : A l’époque, Sarkozy nous a paru bien indulgent en expliquant que « Certains sont bien sévères avec la Tunisie, qui développe sur bien des points l’ouverture et la tolérance » et que « l’espace des libertés progresse ».Mon cul, oui ! Il aurait dû tenter de se connecter à internet avant de l’ouvrir…

Avant lui (en 1995), Chirac a fait encore mieux en rendant hommage à Ben Ali qui a, apparemment, su engager son pays « sur la  voie de la modernisation, de la démocratie et de la paix sociale » et ouvrir le Parlement aux « représentants de divers courants d’opinion ». Il faut être soit débile, soit faux-cul (soit les deux, car il ne faut jamais sous-estimer nos politiques) pour ne pas reconnaitre l’onction démocratique de façade qu’il a su monter de toutes pièces.

Je n’oublierai jamais ce même Chirac affirmant, lors de sa visite à Tunis en 2003, que « le premier des droits de l’homme, c’est de manger […] De ce point de vue, la Tunisie est très en avance sur beaucoup de pays ». Il l’a fait, alors que l’avocate contestatrice R. Nasraoui entamait son 50ème jour de grève de la faim. Le message était clair : « Bouffez et bouclez-la ! ».

L’heure de vérité a sonné. Du moins, j’ose l’espérer. Je donnerai cher pour connaître tous ceux qui, en France, ont bénéficié des largesses du régime déchu. Nombreux sont les lobbyistes (Degallaix, Lanxade, entre autres… tous deux d’anciens ambassadeurs de France en Tunisie), les communicants (Anne Méaux, Jacques Séguéla… ), les conseillers de tous genres et les hommes d’affaires, qui y auraient goûté, d’une façon ou d’une autre. Et comment auraient-ils pu faire autrement sachant que les deux familles régnantes se sont accaparées l’ensemble du tissu économique du pays (banque, distribution, téléphonie, médias, immobilier, transport aérien, tourisme… même la contrebande passait par eux) ? Comment tous ces intervenants étrangers auraient-ils pu résister aux sirènes du profit facile dans une république bananière gangrénée par « la familia » ? Se fermer à la familia, c’était se priver d’un business des plus juteux !

Je donnerai cher pour identifier l’ambassadeur Français, que mentionnent les mémos de l’ambassade américaine en Tunisie (révélés par WikiLeaks), et qui aurait reçu en cadeau une superbe villa (enregistrée apparemment au nom de sa fille) dans un quartier huppé de la capitale tunisienne.

Remettrons-nous un jour la main sur l’énorme magot que les Ben Ali (la fortune de Ben Ali, à lui seul, était estimée à 5 milliards de dollars en 2008, par le magazine Forbes… autrement dit le huitième du PIB tunisien !) et les Trabelsi (outre tout ce qu’elle a pu mettre de côté durant toutes ces années, la régente de Carthage est soupçonnée de s’être enfuie avec 1.5 tonne d’or de la Banque Centrale… question d’avoir un peu de liquidités sur elle) ont usurpé à ce pays, pour le placer en Europe, aux Amériques et au Moyen-Orient ? L’Europe fera-t-elle le nécessaire pour bloquer leurs avoirs, leurs propriétés ?
Permettez-moi d’en douter…

J’ai toujours défini, et je ne suis guère le seul, le Tunisien (monsieur tout-le-monde) comme un « khobziste » (du mot « khobz » qui veut dire pain en arabe), autrement dit quelqu’un qui ne se bougera jamais le cul tant qu’on ne touche pas à ses besoins les plus matériels. Ce n’est guère un rebelle, ni un téméraire. Confisquez-lui ses libertés, il fera le mort. Immergez-le dans l’arbitraire le plus absolu et il y verra une fatalité. Plongez-le dans la corruption, le clientélisme, l’humiliation quotidienne, l’injustice et les inégalités flagrantes, et il s’adaptera comme un poisson dans l’eau. Capable de vivre sous une chape de plomb et une justice instrumentalisée, recroquevillé sur ses p’tits conforts et ses p’tits privilèges, il ne mouftera que si ces derniers sont sérieusement menacés (révolution du pain dans les années 80), ou que si ses conditions de (sur)vie deviennent trop exigües (le soulèvement, fin 2008, du bassin minier de Gafsa, fin 2008, une autre région mutine. A l’époque déjà, les syndicalistes appelaient à une répartition plus équitable des richesses du pays). Sa carapace consumériste le rend souvent insensible au passe-droit, au racket des fonctionnaires corrompus, et le pousse même à y prendre part (en payant des pots-de-vin, en faisant appel à des pistons, en graissant les pattes de policiers ripoux…).

La seule chose à laquelle le tunisien semble relativement vulnérable est l’insécurité.
Durant les 23 ans de règne de Ben Ali (et je fais volontairement abstraction des 32 ans de Bourguibisme qui les ont précédé), notre obsession sécuritaire nous a tenu par les couilles. Nous avons opté (à quelques exceptions près… des hommes et des femmes qui ont su braver le pouvoir au risque d’y laisser leur intégrité physique : M. Abbou, S. ben Sedrine, K. Chammari, R. Nasraoui) pour la sécurité, plutôt que la liberté. Le maillage policier nous rassurait. Le verrouillage des libertés fondamentales ne nous dérangeait pas outre mesure. On aimait bien manger et se la boucler.

A chaque fois que j’ai parlé politique à la maison, ma mère me sortait son fameux dicton super-imagé « Garde ta merde… au moins sa puanteur t’est familière ».
Moi, je préférais plutôt tester d’autres effluves, à mes risques et périls…

Dehors, la révolution est en marche, ici et ailleurs… Ne l’oubliez pas…

Nous vivrons, d’une façon ou d’une autre, des temps mémorables…

Vive la révolution. Et à bas les cons (là, je reprends le mot d’ordre de Cabu).

PS: une p’tite bande sono qui m’a fait marrer…