«Quand je serai grande, je rejoindrai la résistance. Car on ne m’a rien laissé d’autre pour le reste de ma vie.» : Ceci est la réaction d’une gamine de 13 ans à la dissémination de sa famille par les soldats de Tsahal (Libération – 23 Janvier 2009). Avec ses exactions commises à Gaza, Israël s’est mise à dos toute une nouvelle génération de palestiniens… Une génération qui, jusqu’à hier, paraissait capable de transgresser le poids de l’histoire collective, est aujourd’hui perdue (et pour toujours) pour la paix. Tablant sur une espérance de vie de 60 ans parmi la population palestinienne, Israël a simplement semé les graines de la haine et du désespoir qu’elle récoltera au fil des 45 prochaines années.
A la veille des accords d’Oslo, j’ai pu rêvasser d’une paix durable et juste… A l’époque, du haut de mes vingt ans, je me rendais déjà compte de la complexité de ce conflit, de l’impossibilité de changer les faits établis, et donc de la nécessité d’une cohabitation équitable. L’histoire a un poids qu’on ne peut déplacer… Vingt ans plus tard, Israël (du moins, en partie) n’a toujours pas atteint la maturité intellectuelle d’un gamin de vingt ans, encore moins son pragmatisme. C’est malheureux de le constater…
Vingt ans après, avec ce qui s’est passé à Gaza, je me suis surpris, pour la première fois de ma vie, en train de penser que dans ces conditions, et sans changement de cap, Israël ne sera plus là dans vingt ou trente ans. Israël sera emportée par ses propres aberrations. C’est bien un pronostic froid et neutre que je fais ici. Aucune haine, aucune rage, aucun sentiment, rien d’autre qu’une projection rationnelle… Ce n’est qu’une suite logique des conneries qu’on laisse s’accumuler depuis des décennies.
Ceux qui me connaissent savent très bien que, venant de ma part, un tel pronostic est aussi neutre que de penser que le S&P500 va encore dégringoler de 300 points : une suite logique des aberrations passées…
Ceci est l’article dont je parle… (Libération – 23 Janvier 2009)
Gaza. Retour sur les lieux d’une attaque de Tsahal dénoncée par les organisations humanitaires.
Les Samouni, famille brisée par un «crime de guerre»
ZEITOUN (bande de Gaza), envoyé spécial JEAN-PIERRE PERRIN
[Ce sont les adolescents qui racontent le mieux ce qui s’est passé les 4 et 5 janvier à Zeitoun, une petite ville proche de Gaza et de la frontière avec Israël. Des filles comme Almaza Samouni, 13 ans, qui a perdu sa mère, Leïla, ses quatre frères, Ismaïl, Isaac, Nassar et Mohammed, et plusieurs cousins et cousines. Ou Kanaan Attia-Samouni, 12 ans, qui a vu un soldat israélien tirer quasiment à bout portant sur son père devant la porte de sa maison, puis sur son petit frère Ahmed, tué d’une balle dans la tête. Les Samouni, une famille d’agriculteurs plutôt aisés, perdront – d’après nos informations – 22 des leurs dans ce que les organisations humanitaires considèrent comme un «crime de guerre délibéré». Parmi eux, neuf enfants et sept femmes. Sept autres parents plus éloignés, dont trois enfants et deux vieillards, seront aussi tués. Si l’on fait le bilan des victimes, ce sont plus de 70 personnes qui ont trouvé la mort ou ont été blessées. Le bilan fourni hier par Amnesty International, qui enquête à Gaza, est encore plus lourd : 40 tués, dont 33 pour la famille Samouni.
«Les bras levés». La longue avenue Saladin, qui mène au hameau, apparaît déjà comme la prémonition du désastre. Un tsunami semble avoir remonté la rue, détruisant sur plusieurs kilomètres maisons, mosquées, ateliers, usines. La fabrique de jus de fruits Star a brûlé. Même sort pour Palestine Automobiles, le principal garage de voitures d’occasion. Des vergers entiers d’oliviers et de palmiers ont été déracinés. Une petite rue mène ensuite au hameau : deux maisons très abîmées mais debout, quelques autres par terre. La mosquée a rendu l’âme. On ne la reconnaît que parce que le chapeau du minaret trône au milieu des décombres. L’endroit pue la charogne. Des centaines de volailles, mais aussi des vaches, des ânes et chèvres, gisent sur le sol. On piétine l’intimité des maisons : le linge, les vêtements, les tenues nuptiales, les photos de famille, les livres d’enfants, les meubles, tout a été jeté à la rue et mêlé à l’ordure. A l’intérieur de l’une des demeures survivantes, où les soldats s’étaient installés, tout a été souillé. On a percé les murs pour faire des meurtrières, les sacs de sable sont encore dans l’escalier. On a écrit aussi sur les murs, en anglais ou en hébreu : «Arabs need 2 die» («les Arabes doivent mourir»), «Arabes vous pouvez courir mais pas vous cacher». Un dessin représente une tombe : «Arabes : 1948-2009.»
Drap blanc. C’est le 4 janvier, vers 6 heures du matin, qu’une unité israélienne prend possession du hameau. La famille Attia-Samouni est alors réunie autour du thé. Quand le père, Attia, 45 ans, entend les soldats s’approcher, il sort sur le pas de la porte en criant «S’il vous plaît, ne tirez pas, il y a des enfants.» Il tombe aussitôt foudroyé. «J’ai vu celui qui a tiré. C’était un soldat africain [d’origine éthiopienne, ndlr]. Mon père avait les bras levés», raconte Kanaan. Des «bombes de feu» – sans doute des grenades fumigènes – sont ensuite lancées dans la pièce où s’était installée la famille, en tout 18 personnes. Les explosions referment la porte, fracassée la seconde suivante par des rafales, – on peut voir les impacts sur les murs. Il y a aussi du sang, celui de Ahmed, 4 ans, tué par balle. Sa mère, Zahwa, qui tient un bébé de 10 jours, est aussi touchée mais assez légèrement. «A cause de la fumée, on ne pouvait plus respirer. Le nez des enfants saignait», dit-elle, Puis, les soldats leur ordonnent de sortir et d’aller jusqu’à la route. «Ils criaient : « On va tous vous tuer, allez à la mort. » Avant, ils nous ont obligés à enlever nos vêtements. Comme si des enfants pouvaient cacher des armes.» La maison des Attia sera ensuite détruite au bulldozer.
Quand on demande à Almaza, l’orpheline de 13 ans, où est sa maison, elle répond «mais vous marchez dessus». Un engin a tellement aplati la demeure qu’on ne la distingue plus de l’amoncellement de caillasses et de fange qui s’étend alentour. Almaza, a fait partie du groupe de 90 personnes que les soldats ont rassemblé et poussé vers un entrepôt. Ils y resteront vingt-quatre heures. «Il n’y avait rien à manger, rien à boire, pas de lait pour les bébés.» Alors le lundi 5 janvier, vers 6 h 30 du matin, quelques personnes bravent l’interdiction pour essayer de trouver des provisions. A peine ont-ils ouvert la porte qu’un missile est tiré sur la maison, suivi d’un deuxième une minute plus tard, puis d’un troisième. A l’intérieur, c’est l’horreur. Du sang et de la fumée partout. Derrière un drap blanc, les survivants parviennent à sortir. Parmi eux, Waed Samouni, père de six enfants, blessé à la tête, dont les parents ont été tués. S’il parvient à s’enfuir avec quatre de ses fils, il est obligé d’abandonner sa fille Aza, 3 ans, et Omar, 4 ans, dans l’entrepôt détruit. «Omar est resté deux jours à côté de sa petite sœur morte. Quand on l’a retrouvé, il ne voulait pas partir sans elle.»
«Résistance». Car ce n’est que le 7 janvier que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) parviendra à secourir les blessés, l’armée israélienne empêchant ses ambulances d’accéder à Zeitoun. L’interdiction provoquera la colère de Pierre Wettach, chef de la délégation du CICR, qui, fait exceptionnel, sort de sa réserve : «Les militaires israéliens n’ont pas fait en sorte que le CICR ou le Croissant-Rouge puissent leur venir en aide, ni respecté leur obligation de prendre en charge les blessés, comme le prescrit le droit international humanitaire.» Les survivants enfin évacués, l’entrepôt sera rasé. Avec les cadavres à l’intérieur. Almaza, elle, vient chaque jour errer sur les ruines : «Quand je serai grande, je rejoindrai la résistance. Car on ne m’a rien laissé d’autre pour le reste de ma vie.» ]