Décadence…

« Aux hommes de la fin du XIXème siècle, la Décadence romaine apparaissait sous l’aspect de patriciens couronnés de roses s’appuyant du coude sur des coussins ou de belles filles, ou encore, comme les a rêvés Verlaine composant des acrostiches indolents en regardant passer les grands barbares blancs.

Nous sommes mieux renseignés sur la manière dont une civilisation finit par finir. Ce n’est pas par des abus, des vices ou des crimes qui sont de tous temps, et rien ne prouve que la cruauté d’Aurélien ait été pire que celle d’Octave, ou que la vénalité dans la Rome de Didus Julianus ait été plus grande que dans celle de Sylla. Les maux dont on meurt sont plus spécifiques, plus complexes, plus lents, parfois plus difficiles à découvrir ou à définir.

Mais nous avons appris à reconnaître ce gigantisme qui n’est que la contrefaçon malsaine d’une croissance, ce gaspillage qui fait croire à l’existence de richesses qu’on n’a déjà plus, cette pléthore si vite remplacée par la disette à la moindre crise, ces divertissements ménagés d’en haut, cette atmosphère d’inertie et de panique, d’autoritarisme et d’anarchie, ces réaffirmations pompeuses d’un grand passé au milieu de l’actuelle médiocrité et du présent en désordre, ces réformes qui ne sont que des palliatifs et ces accès de vertu qui ne se manifestent que par des purges, ce goût du sensationnel qui finit par faire triompher la politique du pire, ces quelques hommes de génie mal secondés perdus dans la foule des grossiers habiles, des fous violents, des honnêtes gens maladroits et des faibles sages. Le lecteur moderne est chez lui dans l’Histoire Auguste »

Marguerite Yourcenar, Mount Desert Island, 1958,  « Les visages de l’Histoire dans l’Histoire Auguste », Paris, Gallimard, 1962

J’ai comme l’impression désagréable d’y être déjà…

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