La Peur des Barbares…

« Nous construisons notre civilisation avec des murs qui nous protègent de “l’autre”, forteresse contre les éléments, les bêtes sauvages, la différence. »  (Extrait du Mur de Simone Bitton)

Nous fêtons en fanfares les vingt ans de la tombée du mur de Berlin, alors que dans d’autres contrées, de nombreux murs physiques (pour ne parler que de ceux là) ont été édifiés depuis : Israël-Palestine, USA-Mexique, Inde-Bangladesh… Des murs de l’impuissance et de la peur d’un côté, de l’humiliation et de la haine de l’autre. Nous avons laissé pousser ces barrières de béton et de barbelés sous nos yeux, souvent approbateurs, sinon indifférents.

Vous êtes-vous déjà posés la question de qui a construit le premier mur ? de ce qu’il a pu avoir en tête au moment des faits ? et pour quel résultat ?

Chaque mur se proclame différent des autres dans sa nature, dans la problématique sous-jacente, sa raison d’être (immigration clandestine, forces indépendantistes, lutte armée, terrorisme, annexion de territoires…) , dans sa signification, dans son histoire fondatrice… Mais, comme le dit si bien Tzvetan Todorv (essayiste et historien, auteur de « La Peur des Barbares »), un point commun les relie : « c’est la mise en place d’une solution bancale destinée à conjurer la peur de l’autre »

La liste des murs est plutôt longue et ne fait que s’allonger. J’ai même l’impression que le mouvement pro-mur ne fait que commencer… Sans vouloir (ni pouvoir, d’ailleurs) être exhaustif, en voilà quelques uns :

  • Chine : La Grande Muraille de Chine de 2200 kms de long, construite au IIIe siècle avant J.-C. pur maintenir à distance les Huns
  • Angleterre – Ecosse : Le Mur d’Hadrien, érigé au IIe siècle par les Romains sur toute la largeur de l’Angleterre (120km) pour protéger le sud de l’île des attaques des tribus de l’actuelle Ecosse.
  • Corée : 140 kms de long, construit en 1963 dans la zone démilitarisée séparant les deux Corées.
  • Chypre : La fameuse « Ligne verte » (180 km qui n’ont de vert que le nom) construite entre 1964 et 1974.
  • Irlande : 15km de « lignes de paix », construits en 1969 à Belfast, puis à Portadown et Londonderry pour séparer les catholiques des protestants.
  • Sahara Occidental : 2000 km construits entre 1980 et 1986 pour repousser les attaques du Front Polisario et annexer une partie de l’ancienne colonie espagnole.
  • Etats Unis – Mexique : 900 km construits, en 1994, le long de la frontière, au nord du Rio Grande, pour se prémunir contre l’immigration clandestine. Les migrants illégaux passent plus difficilement. Mais ils passent quand même, souvent en prenant beaucoup plus de risques (traversée du désert impliquant plus de 370 morts en 2009)
  • Espagne – Maroc : 12km de barbelés(de 3 mètres 50 de haut) autour des enclaves espagnoles en Afrique du Nord, Ceuta et Melilla, construits en 1995 pour arrêter l’immigration clandestine vers l’Europe.
  • Inde – Pakistan : 550 km de barrière électrifiée, construits entre 2002 et 2003 pour enclaver le Cachemire Indien.
  • Irak : 5km de mur construits par les Américains à Bagdad (entrepris en 2007), avec l’objectif d’isoler le bastion sunnite d’Adamiya difficile à « sécuriser ».
  • Israël – Palestine : 700 km de béton armé, en construction depuis 2002 entre Israël et la Cisjordanie pour se prémunir des activités (terroristes pour les uns, de lutte armée légitime contre l’occupation, pour les autres). Ce mur n’est pas bâti sur la frontière entre les deux territoires (la fameuse « Ligne verte » !), mais empiète (parfois de quelques dizaines de kilomètres) sur des terres palestiniennes, empoisonnant la vie de tous les jours de milliers de palestiniens. Ce mur a été déclaré illégal par la Cour internationale de justice de La Haye, sans résultats palpables.

D’autres murs sont déjà programmés (sud musulman de la Thaïlande, frontières Saoudiennes avec l’Irak au nord, et le Yémen au sud, entre le Pakistan et l’Afghanistan, entre la Géorgie et l’Abkhazie …), avec tout l’appareillage de surveillance hyper-sophistiqué qui va avec…

Dans tous ces exemples, le mur ne fait que dresser une communauté, un peuple ou une catégorie socio-économique contre un autre, que diviser des populations que tout condamne à vivre ensemble, qu’attiser la le ressentiment, la haine et le désespoir des uns, le mépris et la peur des autres. Chacun de ses murs est en soi un aveu d’échec et de faiblesse.

Le temps accomplit toujours son œuvre et les murs finissent par tomber. Aucun mur au monde ne pourra se dresser éternellement devant l’instinct de survie, ni la soif de liberté. « Quand ils comprennent que seuls des fils de fer barbelés, un mur de 3,5 mètres de haut, un désert ou une rivière les séparent d’un espoir de vivre décemment, ils partent », résume Tzvetan Todorv . Ce constat ne peut, cependant, être d’un grand réconfort pour ceux qui en souffrent au jour le jour.

Et puis…

« Les murs dont nous devrions avoir le plus peur ne sont-ils pas ceux qu’on ne voit pas, ceux auxquels on croit, tout simplement ?”

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