Des drapeaux et des essuies-cul(s)…

Il fut un temps où je croyais à la notion de nation, avec ses vertus fédératrices. Naïf, j’y voyais une source d’ambition, de créativité, de partage, une façon de canaliser les bonnes volontés, d’encourager les pensées constructives, et contre toute attente de favoriser tous les universalismes. A l’époque, j’ai complètement occulté le revers de la médaille : la propension des gens à en faire une arme de connerie massive, un prétexte de recroquevillement et une source inépuisable de chauvinisme, d’égocentrisme et de croyance frelatée de l’infériorité de l’autre.

Aujourd’hui, ma conviction est faite : La nation a fait son temps. Elle est en train de vivre ses derniers soubresauts… Une oie qui s’acharne à courir bien que décapitée…

Il me semble naturel qu’un monde au bord du gouffre, jouant à chaque instant sa survie, flirtant chaque jour un peu plus avec la Chute Finale (qui le subjuguera irrémédiablement), se préoccupe beaucoup moins de ses frontières, de ses affinités locales, ainsi que de tous ses chiffons (drapeaux, emblèmes et autre linge sale des états, comme dirait Sylvain Tesson…)…

Michèle Alliot-Marie aimerait qu’il en soit autrement… C’est, du moins, ce que traduisent ses cris à la profanation, ses gesticulations justicières, face à ce photographe qui a osé transformer le drapeau tricolore en essuie-cul (cliché primé à la Fnac !). Cette liberté d’expression qui a su transgresser le sacré (vous rappelez-vous des caricatures de Mahomet ?), semble devoir se prosterner devant l’emblème de la nation. Un «deux poids, deux mesures » de plus (fait pour me faire chier, j’en suis sûr), dans un monde de plus en plus arbitraire, où les positions de principe sont prises à la tête du client !

Michèle Alliot-Marie devrait pourtant lire Gustave Flaubert : « Tous les drapeaux ont été tellement souillés de sang et de m… qu’il est temps de n’en plus avoir du tout »(Correspondance à George Sand, 1869), ou encore Henri Barbusse : « Un homme bon, un homme sain, un homme raisonnable ne doit pas saluer les drapeaux » (La Lueur dans l’abîme, 1920)

Identité nationale : « Un blanc-seing collectif à l’apartheid qui vient »

Dans ce simili débat orchestré par notre cher gouvernement autour du non-thème de l’identité nationale, le rappeur Hamé ne voit rien de tel (Le Monde du 15 Novembre 2009) : « Le débat sur l’identité nationale n’en est pas un. C’est une injonction à l’affirmation ethniciste de soi. Un blanc-seing collectif à l’apartheid qui vient. »

Je ne peux m’empêcher de reprendre un bout de sa magnifique prose à charge : « Dans la prose marécageuse de l’ineffable ministre de l’identité nationale et de l’immigration patauge une créature aux élans de camarde. Tous les quinze ou vingt ans, depuis les indépendances et l’éclatement de l’empire colonial, et au gré des cycliques désastres économiques et sociaux, elle s’extirpe de la vase pour venir se rappeler au bon coeur du commun des Français. Plus que jamais la voilà, armée d’un rameau de ronces au bout d’une main sèche, flagellant « l’éparpillement identitaire » et éructant dans tout le pays des mots vieux, épris et pétris d’haleine chauvine. »

A faux-débat, un recadrage limpide et sans concessions : « Etre français, c’est avoir sa vie en France et rien de plus. Cela ne s’interroge pas, mais se constate comme un botaniste constaterait la poussée d’un bourgeon. Ce qui devrait se questionner en revanche, et de la plus forte des manières avant de le congédier, c’est l’identité de ce pouvoir qui nous mène au mur, son irrépressible cynisme, sa brutalité, sa morgue, lorsque dans les mêmes semaines, il aligne blagues racistes, rafles et expulsions d’Afghans dont il occupe le pays, relaxe pure et simple des policiers en cause dans la mort de Laramy et Moushin à Villiers-le-Bel. Deux adolescents niés et invisibles jusque dans la qualification des causes de leur mort.

C’est d’ordinaire le sacerdoce des anges et des démons que de se mêler à la vie des hommes sans être vus. C’est la honte de cette République que de nous offrir, à nous enfants d’immigrés, cette affriolante perspective donc : vivre comme des démons, mourir comme des anges. Nous ne sommes pourtant ni l’un ni l’autre. »

Au risque de sembler tout ramener à ma pauvre personne, et en tant que démon qui finira un jour ange, je ne peux que me reconnaître dans ces propos…

Et n’oubliez surtout pas ce que Claude Lévi-Strauss a pu dire : « J’ai connu une époque où l’identité nationale était le seul principe concevable des relations entre les Etats. On sait quels désastres en résultèrent. »

Foire aux conneries

Décidemment, à l’ère  Sarkozyste, nos politiques se lâchent… Toutes les occasions sont devenues bonnes pour débiter des kilos de conneries. Aucune retenue, aucune limite, aucun complexe…

J’ai eu le tort de ne commencer ma collection de perles qu’en Novembre 2009. Des perles… j’en ai surement ratées…

1- A la suite de l’affaire des minarets suisses, le porte-parole de l’UMP, Dominique Paillé, a déclaré (le 30 Novembre 2009): « Il y a des clochers sur les églises, mais c’est un héritage historique« , distinguant les « religions qui étaient là avant l’avènement de la Republique » et « celles qui sont arrivées après« .

J’adore cette distinction qui se veut historique !

Une telle posture est aussi religieuse que la Réforme protestante (du 16ème siècle) qui a interdit à la minorité catholique suisse de construire des clochers, voire de faire sonner ses cloches.
L’islam, comme tout ce qui s’y rattache, fait peur… Mais on ne fait que tourner autour du pot.

2- Dans le cadre du grand débat sur l’identité nationale et à l’occasion d’une réunion locale, André Valentin, maire de la commune de Gussainville (Meuse) a déclaré publiquement : « Il est temps qu’on réagisse, parce qu’on va se faire bouffer. Y en a déjà 10 millions, 10 millions que l’on paye à rien foutre. » (Le Monde, 2 Décembre 2009)

3- Après son mémorable « casse-toi pov’con« , Nicolas Sarkozy a préféré exprimer sa vision de la tolérance et de l’ouverture (suite à le référendum suisse sur les minarets… oui oui, vous m’avez bien entendu !) dans une tribune intitulée « Respecter ceux qui arrivent, respecter ceux qui accueillent », publiée dans le Monde du 12 Décembre 2009 :

« Respecter ceux qui arrivent, c’est leur permettre de prier dans des lieux de culte décents. On ne respecte pas les gens quand on les oblige à pratiquer leur religion dans des caves ou dans des hangars.
(…) Respecter ceux qui accueillent, c’est s’efforcer de ne pas les heurter, de ne pas les choquer, c’est en respecter les valeurs, les convictions, les lois, les traditions, et les faire – au moins en partie – siennes. C’est faire siennes l’égalité de l’homme et de la femme, la laïcité, la séparation du temporel et du spirituel.

Je m’adresse à mes compatriotes musulmans pour leur dire que je ferai tout pour qu’ils se sentent des citoyens comme les autres, jouissant des mêmes droits que tous les autres à vivre leur foi, à pratiquer leur religion avec la même liberté et la même dignité. Je combattrai toute forme de discrimination.

Mais je veux leur dire aussi que, dans notre pays, où la civilisation chrétienne a laissé une trace aussi profonde, où les valeurs de la République sont partie intégrante de notre identité nationale, tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ces valeurs condamnerait à l’échec l’instauration si nécessaire d’un islam de France qui, sans rien renier de ce qui le fonde, aura su trouver en lui-même les voies par lesquelles il s’inclura sans heurt dans notre pacte social et notre pacte civique.

Chrétien, juif ou musulman, homme de foi, quelle que soit sa foi, croyant, quelle que soit sa croyance, chacun doit savoir se garder de toute ostentation et de toute provocation et, conscient de la chance qu’il a de vivre sur une terre de liberté, doit pratiquer son culte avecl’humble discrétion qui témoigne non de la tiédeur de ses convictions mais du respect fraternel qu’il éprouve vis-à-vis de celui qui ne pense pas comme lui, avec lequel il veut vivre.»

Bon, partant du principe que je sois musulman (c’est mieux que rien, sachant que le discours ignore allégrement les athées et les agnostiques de ce pays…). Ce que je dois retenir est que je suis bien un citoyen comme les autres. Ca, c’est plutôt cool. Mais d’un autre côté, et bien que je sois français depuis quatre générations, je ferai éternellement partie de « ceux qui arrivent » (qui sont apparemment tous de culte musulman. Ecrit mathématiquement : Immigration = Islam) et à qui on a enfin reconnu le droit de pratiquer leur religion ailleurs que dans des caves et des hangars. Avec ma religion qui semble trancher ostensiblement avec les racines chrétiennes de l’identité nationale (ah ça, on me l’a toujours caché… le mérite de l’intervention présidentielle est de remettre les pendules à l’heure. Mathématiquement : Identité nationale = Chrétienté + …), je me dis que j’ai tout intérêt à, d’une part, ramer comme un malade (en tous cas, beaucoup plus qu’un citoyen fraichement naturalisé mais de confession chrétienn) et, d’autre part, me faire tout petit, tout discret (« humble discrétion ») pour conserver le sésame de la citoyenneté… De toute façon, l’identité nationale me sera à jamais inaccessible (waoooo, quel malheur !) car, avec ma religion associée éternellement aux arrivants, je ne peux que la dénaturer (voir les deux égalités mathématiques mentionnées ci-dessus).

En dehors de ces p’tits soucis techniques, tout baigne pour moi…

Deux p’tites questions pour la route… Y a-t-il dans l’assistance quelqu’un :

  • pour m’éclairer sur l’étendue spatio-temporelle exacte de la civilisation chrétienne (simple curiosité intellectuelle)
  • pour m’expliquer depuis quand « la séparation du temporel et du spirituel» faisait partie des fondements de la République laïque. A ma connaissance (et jusqu’à ce que H. Guaino ne commence à revisiter l’Histoire), c’est l’église catholique qui a introduit en même temps que le principe de transcendance celui de séparation du temporel et du spirituel : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Saint Matthieu 22-21).

4- Lors d’un débat sur l’identité nationale (débat qui sera bientôt renommé « La foire aux conneries ») à Charmes (Vosges), la secrétaire d’Etat chargée de la famille et de la solidarité, Nadine Morano (ouioui, celle-là même qui se trémoussait dans le fameux clip UMP, jugé consternant et dégoulinant de bêtise, par Luc Ferry), a développé, lundi 14 décembre, ce qu’elle attendait d’un « jeune musulman » : « Moi, ce que je veux, c’est qu’il aime la France quand il vit dans ce pays, c’est qu’il trouve un travail, qu’il ne parle pas le verlan, qu’il ne mette pas sa casquette à l’envers » (Le Monde, 15 Décembre 2009).

Vous y voyez une quelconque stigmatisation, un quelconque amalgame, un p’tit bout de préjugés ? Je ne vous comprends guère… C’est à peine le portrait rebot d’un « Homo Gallicus Muslimus » type (cariacatural ?! mais nonnn), parlant verlant, avec une casquette à l’envers, freinant des quatre fer pour ne pas trouver un emploi…

5- Eric Raoult, le rapporteur de la fameuse commission qui a cogité durant des mois sur la Burqa (et député-maire de Raincy), à qui l’on demande si une femme portant la burqa devra l’enlever pour prendre le bus, répond par l’affirmative et argumente ainsi : « Prenons un exemple, il fait moins 3° devant l’Assemblée nationale, si une femme arrive avec un string, on va lui dire ‘Madame, vous allez attraper froid ! Donc en l’occurrence, veuillez vous couvrir’… »Conclusion de l’affaire, tout dépend du temps qu’il fera… En cas de canicule, le string sera même conseillé… et la Burqa ?

Mais rendant à César ce qui est à César. L’association pathétique entre burqa et string remonte à Martine Aubry. C’est bien elle qui a cru pouvoir étendre à la Burqa, l’interdiction, promulguée par le Maire de Paris, de l’usage du string sur les berges de Paris-Plage.

6- Evoquant la célébration à Marseille de la victoire de la sélection nationale algérienne (Eliminatoires de la Coupe du Monde, 18 Nov 2010), Jean-Claude Gaudin, maire-sénateur de Marseille, a su sortir : «Nous nous réjouissons que les musulmans soient heureux du match, sauf que quand après ils déferlent à 15.000 ou à 20.000 sur la Canebière, il n’y a que le drapeau algérien et il n’y a pas le drapeau français, cela ne nous plaît pas». Autrement dit, quand les supporteurs d’une équipe de football se rassemblent sur la Canebière, M. Gaudin n’y voit que des hordes de musulmans qui déferlent…

7- Lors d’un meeting à Franconville (28 Jan 2010), parlant d’Ali Soumaré (candidat PS d’origine malienne), le maire Francis Delattre a osé dire «Au début, j’ai cru que c’était un joueur de l’équipe réserve du PSG. Mais en réalité, il est premier secrétaire de la section de Villiers-le-Bel. Ca change tout! ».

De toute évidence, la grille de lecture du maire UMP est plutôt limitée. Son unique synapse (ce qui suppose qu’il a 2 neurones, ce qui n’est pas mal…) fait une association pavlovienne entre blacks des banlieues et footballeurs.

Les Auvergnats : Quand il y en a un, ça va…

Cocktail de l’université d’été de l’UMP à Seignosse (Landes), le 5 septembre 2009, dans une ambiance franchouillarde mêlant rires gras et humour gluant, on assiste à l’échange surréaliste suivant :

Une responsable locale de l’UMP présente Amine Benalia-Brouch, un militant d’origine algéro-portugaise, au ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux : « C’est notre petit arabe, il mange du cochon et il boit de la bière »

Brice Hortefeux : « Ce n’est pas le prototype, ça », avant de rajouter « Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ».

Moralité de l’histoire : Il a bien beau être français, né en Auvergne, manger du cochon et boire de la bière, Amine reste toujours et avant tout un petit arabe dans les yeux de ces copains de l’UMP.

No comment…