Alice au pays des merveilles…

J’ai promis de pousser, un jour, ma gueulante sur ce tourisme sexuel qui se développe à vue d’œil, à Djerba.

Ce phénomène, qui s’est intensifié ces quelques dernières années, puise ses sources dans la pauvreté, le chaumage, mais aussi dans la tentation de l’argent facile et la recherche d’échappatoire (vers l’Europe) et, bien évidemment, dans la présence d’une demande (masculine mais surtout féminine, homosexuelle comme hétérosexuelle) qui ne se démentit guère…

Nombreuses sont les Européennes d’âge mûr qui viennent régulièrement à Djerba avec l’idée explicite de s’éclater avec de jeunes Tunisiens, de la bonne chaire fraîche à moindre coût (ce qui, dans certains cas, peut se révéler discutable). Une quête strictement hédonique qui, lorsqu’elle est pleinement assumée, me conviendrait parfaitement tant qu’elle ne devienne pas un phénomène de société (ce qu’il n’est malheureusement pas le cas), qu’elle se cantonne au cadre strict de relations sexuelles équilibrées (transparence des « sentiments », transparence du contrat moral sous-jacent, absence de toute prédominance financière ou autre, d’un des deux partenaires sur l’autre) entre adultes consentants.  D’autres sont là (et c’est la majorité visible) sous l’emprise d’une relation amoureuse, rarement réciproque, couplée à un besoin irréfrénable d’être aimées, cernées d’attentions et de tendresse, même si celle-ci ne dure que le temps d’un voyage… Il est devenu courant de voir, un peu partout sur l’île, des femmes de 60-70 ans et plus se balader, main dans la main, avec des jeunots d’à peine 20-30 ans,  (de l’âge de leurs fils, pour ne pas dire petits-fils). L’Amour est aveugle (proverbe arabe), me diriez vous… Certes, mais bon… Je me permettrais d’émettre quelques doutes.

Aussi courante soit elle, une telle rencontre ne me laisse jamais indifférent (Sur la plage, topless oblige, la vision de tels couples frise souvent l’horreur.  L’effet du temps est imparable) : je ne peux m’empêcher d’y voir le summum  de l’inconscience et de l’irresponsabilité d’un côté (car l’impact sociétal d’un tel comportement est indéniable : par mimétisme, se taper des « vieilles » est devenu le projet d’avenir de certains gausses… un vrai projet alternatif à l’école !), de la bassesse morale et intellectuelle de l’autre (rien ne m’énerve plus que cette étincelle de fierté, limite ridicule, que je crois à chaque fois détecter dans le regard du chasseur qui exhibe sa prise).

De toute façon, mon approche comptable du monde me fait dire que ce n’est surement pas à travers ce genre de relations malsaines (mélangeant naïveté, illusion et inconscience d’un côté, et approche mercantile, intéressée et trompeuse, de l’autre) que nous arriverons à atteindre l’échange équilibré tant désiré entre visiteurs et visités.

Il faut, cependant, dire que les femmes ne sont pas seules à s’engouffrer dans cette faille dans l’espace-temps… De plus en plus d’hommes viennent chercher l’amour (au sens large du terme) à Djerba : amours homosexuels (ce qui a toujours existé dans les autres spots touristiques de la Tunisie : Hammamet, Sousse…), mais aussi hétérosexuels (ce qui est, à mon sens, un phénomène très récent en Tunisie, a fortiori à Djerba la conservatrice). Ce dernier phénomène, peu visible car se déroulant essentiellement dans les enceintes des hôtels, m’a été rapporté par plusieurs amies. Des tunisiennes résidentes à Djerba gèrent les arrivées (successives ou simultanées) de leurs multiples copains avec le même pragmatisme « killer » que leurs alter-égos masculins. Des visiteurs mâles ont dû repousser les avances explicites de quelques employées (masseuses, esthéticiennes, serveuses…) zélées au point de vouloir mettre la main à la pate. Un peu de temps passé sur les sites de rencontre / forums locaux (comme tunislanuit.com, ou badoo.com) a fini de me convaincre de l’ampleur des dégâts : Des étrangers en visite de travail et/ou détachés en Tunisie, y vont pour faire leurs courses érotico-sexuelles sur des étales, il faut le dire, bien garnis…

Sans aller jusqu’à l’étude anthropologique (dont je n’ai ni l’envie, ni les moyens, ni la prétention), il me semble judicieux de remonter à l’une des rares études sérieuses qui ont été menées sur le phénomène. A la fin des années 70, De Kadt a planché sur les contacts sexuels (homos et hétéros) entre jeunes hommes tunisiens et visiteurs (hommes et femmes) étrangers. Il a tenté de cerner le profil socio-économique de ces gigolos dragueurs : employés directs ou indirects du domaine touristique (animateurs, barmen, serveurs, loueurs de chevaux et de Quads, guides, vendeurs dans les souks…), d’un niveau d’étude dépassant rarement le secondaire.

Depuis de l’eau a coulé sous les ponts, mais les choses n’ont pas intrinsèquement changé. Le phénomène a été accentué par les difficultés économiques du pays, la montée du chômage des jeunes et des diplômés, la quête illusoire d’un avenir meilleur sur l’autre rive de la méditerranée, le désintérêt flagrant pour les études et la notion même d’effort. Certains pensent même qu’une partie de la demande à été délocalisée de l’Asie du sud-est vers le Maghreb, suite au Tsunami de 2004.

L’implication affective des premiers temps a laissé la place à une approche strictement monétaire, beaucoup plus malsaine. Le processus de gestion des allers et venues des partenaires s’est complètement industrialisé (merci internet). Les stratégies d’approche (le petit papier, portant son numéro de téléphone avec quelques compliments basiques, qu’on fait tomber au pieds de la personne cible ; l’approche directe amorcée par l’animateur/serveur au bord de la piscine ou au restaurant ; l’approche plus fine, à plus fort contenu intello, lors d’une visite guidée d’un musée…)se sont sophistiquées en intégrant pêle-mêle les spécificités du partenaire (client à son insu ?) : sa nationalité (les francophones, les anglo-saxonnes et les scandinaves ne sont pas logées à la même enseigne car n’ont pas la même approche de la sexualité), son âge, son profil psycho-socio-économique, sa p’tite histoire (ses amours et ses échecs), ses besoins affectifs… Les prédateurs n’hésitent plus à se communiquer leurs astuces et techniques, a se refiler leur recettes, voire leur trophées… Il leur arrive même de s’allier, à monter des stratagèmes, pour faire « tomber » la cible. Je les ai vu se mettre à plusieurs, devant une connexion internet, pour répondre à la conquête de l’un d’eux, chacun apportant son p’tit grain de sel, dans un français approximatif, à une conversation hallucinante (par son côté débilisant). Dans certains hôtels-club, l’implication physique des animateurs(rices) dans la satisfaction des clients(es) est devenue monnaie courante. Elle a lieu au vue et au su de tout le monde, direction comprise (est-ce avec son aval ?).

En termes de tourisme sexuel, nous n’avons pas atteint, pour l’instant, l’intensité connues dans certains pays d’Asie (Thaïlande, Cambodge, Inde…), d’Afrique (SénégalGambie…) ou des Caraïbes (Haïti, République Dominicaine…). Mais on s’y dirige à grands pas… Ce qui m’émeut n’a rien à avoir avec ces p’tites histoires de cul sans lendemain, mais plutôt avec l’impact sociologique de ce genre d’interactions intéressées (de part et d’autre), mercantiles (mettant face à face une offre et une demande), malsaines (car elles ne font qu’entretenir la cupidité et l’irrespect) et, par-dessus tout, malhonnêtes (car déséquilibrées d’un côté comme de l’autre). Les ravages d’un tel phénomène sont là et pour longtemps (voilà un bel exemple d’altruisme intergénérationnel).

Une question s’impose : Sommes-nous en train d’assister à la naissance d’un tourisme sexuel de masse ? Sur ce point, un article du Monde Diplomatique tente d’apporter quelques lumières…

A bon entendeur(se), salut.

PS: Mesdames, il m’est arrivé d’entendre (directement ou indirectement) vos amants-prédateurs (qui sont prétentieux et suffisants à leur temps perdu…) se targuer d’une délivrance proche (un mariage qui leur donnera accès au visa-sésame) et fanfaronner, en même temps, la présence simultanée d’une autre « prise » dans un autre hôtel… Que dois-je faire dans ce cas ? Vous le signaler au risque d’être renvoyé dans mes cordes, et surtout de vous faire mal ? Ou me taire pour vous laisser vivre tranquillement vos illusions ?

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