Branlez-vous les ami(e)s ! C’est bon pour le PIB.

Un récent article du Monde (« Sexe, drogue et trafics en tout genre bientôt dans le PIB européen », Le Monde.fr | 06.06.2014 | Par Mathilde Damgé et Samuel Laurent) évoquait l’intégration imminente de l’ensemble de l’économie souterraine dans le PIB européen.
L’information du Monde aurait dû passer comme une lettre à la poste, tant elle reflète la tendance généraliser à tout monétiser… Moi, elle m’est restée au travers de la gorge.

Il y a quelques jours, j’apprenais déjà que, grâce à l’idée « géniale » d’une société californienne, les individus portant des Google Glass pourront être suivis en direct en échange d’un paiement. Ainsi, le simple fait de se balader avec ces fameuses lunettes et de monétiser sa propre vision, serait une création de richesse qui viendrait gonfler le PIB mondial…

Quand la croissance n‘est plus là, on va la chercher avec les dents (dixit un nain aux grandes oreilles et aux talons compensés que je connais mais qui ne me manque guère)… et ne me parlez pas d’éthique après ça… Aujourd’hui, on intègre la prostitution comme un service. Demain ça sera le tour à la branlette. Après tout ce n’est qu’un service que j’offre à moi-même, à l’exemple du « Imputed Rent » qui reflète la valeur locative du logement occupé par son propre propriétaire et qui rentre dans le PIB des Etats-Unis.

On va valoriser une branlette à un prix d’amis : 10€ / branlette au taux horaire d’un professionnel du sexe.  Avec juste une branlette par semaine, pour 20 millions de Français(es) seulement (ceux et celles qui ont en encore l’envie / la capacité / le temps), on crée une richesse de quelques 10 Mld. Et HOP, on a 0.5 point de PIB de plus, qu’on sort de nulle part… si si de nos bourses ! Augmenter la cadence sera alors un acte de patriotisme économique, une façon de participer (avec ses tripes) à l’effort de guerre…

Espérons juste qu’on ne commence pas à nous taxer sur nos p’tites branlettes innocentes, comme l’Imputed Rent l’est dans certains pays…

Bon, c’était plus fort que moi… Le passage de minuit ne me réussit guère. Il fallait absolument que je vous en parle, que je me vide… la tête.

Et le vieux con parla…

« Le problème avec notre époque est que le futur n’est plus ce qu’il était ! » — Paul Valéry

En cette fin d’année, et comme d’habitude, j’ai cherché à dénicher, dans l’évolution de ce monde, tout ce qui pouvait me foutre la trouille (je suis comme ça… j’adore me faire peur), et par ricochet (car je suis du genre partageur) plomber l’ambiance générale. Mon objectif ultime étant, vous vous en doutez sans doute, est de vous servir l’antidote de cet excès d’optimisme qui vous submerge à chaque début d’année (et qui me fait franchement chier), vous faire partager mes inquiétudes et mes doutes (vous déprimer, quoi !).
Là, la fin de l’année s’approche à grand pas et mon désarroi grandit à vue d’oeil. Car, j’ai comme un souci… Mon constat est plutôt frustrant : Rien ne cloche plus dans ce bas monde. Tout semble aller à merveille, dans les meilleurs des mondes.

Le calendrier chinois met l’année 2011 sous le signe du lapin de métal blanc (si si) ! Selon le zodiac chinois, le lapin est sociable, discret, raffiné, sensible….Une année qui ne pourra être que calme, quiétude, répit et apaisement. La révolution, c’est du passé. Place aux préoccupations mondaines et aux orgies artistiques… Je sens que je vais me goinfrer dans les vernissages…

Je me rappelle d’une étude vieille de 10 ans des Nations Unies estimant à 800 milliards (déboursables sur 10 ans, justement) le coût nécessaire pour que tout être humain ait accès à l’éducation de base, à la santé, à la nourriture et à l’eau potable. De toute évidence, l’objectif du millénium est atteint. Les émeutes de la faim sont maintenant de l’histoire ancienne. L’humanité toute entière mange à sa faim, a accès à l’eau potable, et dispose des soins primaires. Ceux qui ne mangent pas suffisamment sont ceux qui font attention à leur ligne, tout simplement.

Le monde va bien…
Selon une enquête réalisée par le site de rencontres en ligne OkCupid, les utilisateurs de l’iPhone d’Apple, hommes et femmes confondus, ont plus de partenaires sexuels (Avez-vous déjà contemplé l’un d’eux en train de tripoter l’écran tactile, faire défiler les pages, les pétrir, les retourner, les zoomer, le tout avec un ou deux doigts ? Quelle dextérité !). Mes pauvres Blackberristes, il est grand temps de troquer vos BBs (et votre acharnement professionnel) contre un peu plus d’habilité manuelle…

Le monde va bien… Nos gouvernants savent rester zen
Alors que des milliers d’automobilistes dormaient sur les autoroutes de France, M. Brice a osé affirmer que ce n’était guère la pagaille. C’était juste un énorme foutoir, un bordel monstre… Ceci dit, il a en quelque sorte raison : sur des centaines de kilomètres, les voitures bloquées étaient parfaitement rangées en file indienne dans la neige. Elle est où la pagaille, là dedans ?

Le monde va bien…
Contre la réforme prévoyant le triplement des frais (à 9000 livres) de scolarité au sein des universités de GB pour compenser le désengagement de l’Etat de l’enseignement supérieur, les étudiants britanniques ont manifesté leur colère, se sont opposés à la police, et s’en sont même pris à la voiture du Prince Charles et sa dulcinée, l’aspergeant de peintures. Je vous rassure… Le couple princier a finalement pu assister comme prévu au spectacle auquel il se rendait. S’ils l’ont fait, c’est que le monde se porte à merveille.

Le monde va bien… Les inféodés sont rapidement rappelés à l’ordre
Après MasterCard, PayPal et Visa, c’est au tour de Bank of America de fermer le robinet à Wikileaks, en suspendant toutes les transactions destinées à ce site. Son porte-parole évoque une décision qui «  se fonde sur le fait que Wikileaks semble être engagé dans des activités contraires à la politique interne de paiements » de la banque… Il va sans dire (dans un monde qui va bien) que cette décision n’a absolument rien à avoir avec les « 5 gigaoctets de données provenant du disque dur d’un des dirigeants de la banque » que le fondateur de Wikileaks promet de rendre publique dans un p’tit mois. Quant à Médiapart, ils continuent à nous faire chier avec leurs enquêtes et leurs révélations… Ils n’ont toujours pas compris qu’on n’aspire qu’à une vie pépère, loin des tumultes des interrogations existentielles et des questionnements métaphysiques, que nous vivons en parfaite harmonie avec nous gouvernants (dont la rigueur, la transparence, l’honnêteté intellectuelle et l’honnêteté tout court, sont proverbiales)

Le monde va bien… Les flots d’argent sont bien canalisés
Les bonus des traders sont maintenant encadrés, payés de façon différée, sur un minimum de trois ans… Ouf, nous voilà rassurés sur la pérennité du système. Dans le même registre, les jeux d’argent sont enfin légalisés sur internet. Les français pourront enfin s’alléger de leurs quelques 20 milliards d’euros (de pertes, par an) à d’autres que la Française des Jeux et le PMU. Addiction pour addiction, on devrait légaliser la marijuana. Ca fera rentrer un peu de fric dans les caisses de l’Etat, et nous fera tous planer un bon coup…

Le monde va bien… Et le père Noël y est pour quelque chose.
Les foyers français continuent à débourser 230 Euros (en moyenne) pour entasser quelques jouets de plus (Ils devraient, cependant, savoir qu’une entreprise française a eu la lumineuse idée de proposer des jouets à la location).  Dehors, 4 personnes en situation précaire sont mortes dans le froid glacial. C’est un peu leur faute : ils tenaient absolument à voir passer le père Noël sans tenir compte de leurs fragilités physiques.
Pour ceux qui n’ont pas d’amis, il est enfin possible d’en louer, du moins en Ukraine. La société Kind Fairy propose aux personnes solitaires malgré elles (et moyennant une quinzaine d’euros) d’aller trinquer en compagnie  d’un ami d’un soir, capable de parler de tout (politique, art, cul, je suppose…)

Le monde va bien… Nous débordons de créativité.
La médaille de la créativité (qui a osé parler de cupidité ?) revient à l’Espagnole Angeles Duran qui s’est auto-déclarée propriétaire du soleil. Comme quoi, ce n’est pas parce qu’on se l’est coulé douce durant quelques 4 milliards d’années, loin de toute entrave, que la cupidité humaine ne peut nous atteindre… Il faut dire qu’un Américain l’a déjà précédé en passant un acte notarié pour s’approprier la lune et presque toutes les planètes.

Le monde va bien… Nous sommes plus humains que jamais.
L’Etat de Californie a pris la décision radicale de libérer une partie de ses prisonniers (­6500, soit 4% de la population carcérale). Les mauvaises langues n’y verront que des raisons bassement matérielles, le signe que l’Etat n’a plus les moyens d’entretenir ses prisonniers… Ca reste un acte fort venant d’un Etat qui alloue plus au système carcéral qu’à l’enseignement supérieur. Bravo la Californie !

Le monde va bien… Nos ressources sont inépuisables.
En commentaire d’un article sur la raréfaction de l’eau douce, l’excellent Champardenne affirmé « Placez vous sur la rive de n’importe quel grand fleuve […] et regardez un moment toute cette énorme quantité d’eau douce qui file se perdre en mer ». Suite à cette observation qui brille par sa rigueur scientifique (et je ne suis guère du genre moqueur !), il conclut qu’ »on a toute l’eau douce voulue ». Nous voilà rassurés…

Le monde va bien… Notre sécurité est assurée à chaque instant.
Sur un large panel d’applications populaires pour téléphone mobile étudiées par le Wall Street Journal, nombreuses se sont révélées coupables de violation de la vie privée (je préfèrerais parler de protection rapprochée), et ce par transmission, à des régies publicitaires (pour l’instant), de données personnelles à l’insu de l’utilisateur. Sur 101 applications étudiées (fifty-fifty iPhone & Android), 56 transmettent l’identifiant unique du téléphone, 47 donnent la localisation de l’utilisateur, et 5 livrent son âge et son sexe. Qui a osé dire qu’on est tracé ??

Le monde va bien… La révolution n’est plus que littérature.
Le manifeste de la gauche radical « L’insurrection qui vient » se vend comme des petits pains en Allemagne, phénomène qui inquiète plus d’un. Pas moi… C’est la preuve que nos révolutionnaires apprennent à lire.

Nous vivons dans un monde merveilleux.
Nous vivons des temps mémorables…

Vieux je suis devenu, mais con je suis resté… con au point de ne plus voir que les mauvais côtés de ce monde.
Là, vous allez être sympa et me laisser me lâcher un bon coup. Il en va de ma santé mentale. Faites juste semblant de m’écouter… Et, surtout, soyez indulgents…

Et le vieux con parla…

Nous vivons sur les plaques tectoniques du chômage endémique, de la dette galopante, des déficits abyssaux, des disparités sociales qui se creusent… et on adore ça.
Des pays dits développés se sont révélés au bord du gouffre financier… à deux doigts du dépôt de bilan. Au lieu d’avaler notre amour propre et de restructurer nos dettes (et celles de nos banques), nous avons préféré jouer les prolongations en maintenant le malade sous perfusion. Avez-vous déjà essayé de planquer un tas de poussière sous un tapis ? Avez-vous remarqué  le champignon atomique que notre connerie génère dès qu’on effleure (par mégarde) le tapis ?

On s’est embarqué dans un « anti-Robinwoodisme » à toutes épreuves: On prend aux pauvres pour donner aux riches. C’est tellement gros que 45 millionnaires américains (oui oui, je vous l’assure) ont choisi de lancer une pétition pour payer plus d’impôts. Ils exigent l’abandon des allègements fiscaux de l’époque Bush, comme un premier pas vers l’assainissement des finances publiques. En même temps, près d’un quart de la population européenne est menacée de pauvreté ou d’exclusion sociale, et 42 millions d’américains dépendent des coupons alimentaires.
Et, un peu partout, les journées d’actions contre l’austérité tournent à la guérilla urbaine…

On adore vivre à crédit (avez-vous remarqué, dans la queue devant vous au Printemps / BHV / Galeries Lafayette, le nombre de clients qui règlent leurs achats avec la carte de paiement du dit grand magasin ?). Devant un parterre d’étudiants, l’amiral Michael Glenn considère que « la pire menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis est le poids de leurs dettes ». Quand le plus haut gradé de l’Amérique commence à parler de la dette US, je ne peux réprimer un haut-le-cœur (je suis du genre à vomir quand je suis terrorisé).
On dépense trop et sans discernement. Analyser les courses de Noël est un cours de macro-économie en soi. Les chinoiseries que vous avez achetées (autrement dit, la quasi-totalité de vos cadeaux) sont responsables des déséquilibres mondiaux, des déficits commerciaux et des dettes qui enflent…

Même la nature s’en mêle… L’année nous a gâtés avec 2 séismes respectables (Haïti avec ses 200 000 morts, et le Chili, ce dernier étant le plus fort jamais enregistré), un volcan (au nom barbare d’Eyjafjöll) déchainé au point d’obscurcir les cieux européens, une magnifique marée noire au large des Etats-Unis, quelques inondations dévastatrices dans des coins reculés du globe (dont on s’en fout royalement)…

Et comme pour parfaire ce panorama magnifique, la Belgique n’a jamais été aussi proche de la scission. Mais c’est peut-être une histoire belge de plus…

La troisième révolte est en marche. Il est grand temps d’entrer dans l’ère de la désobéissance éclairée. La sobriété volontaire ne suffira bientôt plus…

Et, dans ce bordel globalisé, je ne peux que m’aligner sur Jean Yann qui disait « Pour moi, la grande question n’a jamais été : Qui suis-je ? Où vais-je ? Comme l’a formulé si adroitement notre ami Pascal, mais plutôt : Comment vais-je m’en tirer ? . »

Bonnes fêtes et meilleurs vœux (c’est bien la formule consacrée, non?)
Viva la revolucion (celle là l’est un peu moins !).

Le jour se leva. Et le vieux con se tut… (et c’est peut-être mieux comme ça)

PS : Contrairement au zodiac chinois, je suggère de placer 2011 sous le signe du Scarabaeus Laticollis, plus vulgairement connu sous le nom de scarabée bousier (vous savez, celui qui fait des boules de caca et qui les roule jusqu’à son garde-manger… ummmm !).

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Sans lui, nous serions dans une merde noire jusqu’au cou…  Il faudrait juste qu’il s’adapte un peu, en arrêtant de faire des boules avec les excréments des autres, pour se consacrer à l’ingestion de nos déchets les plus divers… Je me verrais bien dans un monde où chacun se baladerait avec son bousier (de la taille d’une chèvre) en laisse…

PS 2 : A ce stade, et au risque de passer pour le ringard de service, je vais finir par vous chanter  « Les anarchitectures », ou encore « J’accuse » de Saez (très bon calmant pour cette période plus ou moins festive. Je vous invite vivement à les écouter sur Deezer :http://www.deezer.com/fr/#music/result/all/saez . Et puis, c’est gratis).

PS 3 : Je suis sûr que parmi vous, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les 2 révoltes qui ont précédé la future troisième ! J’en dirai plus en 2012 (si internet marche encore).

PS 4 : La eCard_Tingitingi_2011 est là pour rattraper mes conneries… du moins, je l’espère.

Banana Republik…

Je vais finir par croire que ma destinée est de naviguer d’une république bananière à une autre…

Même Sarkozy est excédé !!

D’après le Canard Enchainé du 23 Juin 2010, il aurait dit, furieux : « Je ne suis vraiment pas aidé ! Certains ministres sont devenus fous ! Entre celui qui se fait payer ses cigares aux frais du contribuable (Christian Blanc grâce à qui, et en dix mois, 12 000 Euros des deniers publics sont partis en fumée) et qui bidouille sa feuille d’impôt (là aussi, il pointe Christian Blanc… mais, j’en suis sûr, au fond de lui même, il s’est rappelé, amusé et fier, ses p’tites magouilles avec l’ISF à la veille de son élection), celui qui se fait construire une maison à Saint-Tropez ou qui commande un jet privé comme on prend un café (Alain Joyandet, soupçonné d’avoir bénéficié d’avoir bénéficié d’un permis de construire illégal pour agrandir sa maison dans le Var), et celle qui donne des leçon de rigueur et de morale à la terre entière avant de se planter elle-même (Rama Yade), les Français vont finir par croire que je suis entouré d’une bande de tartuffes »

Pour une fois, et bien qu’il oublie quelques autres perles de son reigne, je trouve notre (tartuffe de) président perspicace… perspicace au point d’arranger le débarquement de ces humoristes qui lui font mal : Stéphane Guillon & Didier Porte (congédiés de Radio France le 23 Juin 2010). Il ne fait plus bon rire le matin sur France Inter.

Ceci étant dit, quand j’écoute S. Guillon dans l’un de ces derniers billets d’humeur, je me dis qu’il vaut mieux en rire… Les tartuffes qui nous gouvernent ont tout intérêt à laisser quelques soupapes de sécurité dans la chaudière géante de la démocratie bananière.

Et pour la route, je vous suggère de se marrer un dernier coup avec Stéphane :

– Dans son dernier billet précédant son licenciement

– Dans son billet de Janvier 2010 où il prévoyait son débarquement en Juillet (il est très fort) !

– Dans ce billet que j’adore et qu’il a consacré à DSK, le coureur de jupons…

Décadence…

« Aux hommes de la fin du XIXème siècle, la Décadence romaine apparaissait sous l’aspect de patriciens couronnés de roses s’appuyant du coude sur des coussins ou de belles filles, ou encore, comme les a rêvés Verlaine composant des acrostiches indolents en regardant passer les grands barbares blancs.

Nous sommes mieux renseignés sur la manière dont une civilisation finit par finir. Ce n’est pas par des abus, des vices ou des crimes qui sont de tous temps, et rien ne prouve que la cruauté d’Aurélien ait été pire que celle d’Octave, ou que la vénalité dans la Rome de Didus Julianus ait été plus grande que dans celle de Sylla. Les maux dont on meurt sont plus spécifiques, plus complexes, plus lents, parfois plus difficiles à découvrir ou à définir.

Mais nous avons appris à reconnaître ce gigantisme qui n’est que la contrefaçon malsaine d’une croissance, ce gaspillage qui fait croire à l’existence de richesses qu’on n’a déjà plus, cette pléthore si vite remplacée par la disette à la moindre crise, ces divertissements ménagés d’en haut, cette atmosphère d’inertie et de panique, d’autoritarisme et d’anarchie, ces réaffirmations pompeuses d’un grand passé au milieu de l’actuelle médiocrité et du présent en désordre, ces réformes qui ne sont que des palliatifs et ces accès de vertu qui ne se manifestent que par des purges, ce goût du sensationnel qui finit par faire triompher la politique du pire, ces quelques hommes de génie mal secondés perdus dans la foule des grossiers habiles, des fous violents, des honnêtes gens maladroits et des faibles sages. Le lecteur moderne est chez lui dans l’Histoire Auguste »

Marguerite Yourcenar, Mount Desert Island, 1958,  « Les visages de l’Histoire dans l’Histoire Auguste », Paris, Gallimard, 1962

J’ai comme l’impression désagréable d’y être déjà…

Populisme en Sarkozystan

Il m’a suffit d’un passage éclair à la Ville des Lumières pour que ce mélange détonnant de populisme (éternel hymne sécuritaire avec son bouc émissaire du moment : les Roms) et d’affairisme (Eric Woerth, sa femme, son parrain et la milliardaire…), caractéristique de la politique française actuelle, me monte au nez…
Et apparemment, je ne suis pas le seul…

Ceci est une p’tite lettre ouverte adressée au Président de la République, par Jacques Hochmann (professeur émérite de psychiatrie à l’Université Claude Bernard). Source : Le Monde du 18/8/2010

Elle ne servira absolument à rien, mais bon… raison de plus de la garder dans mes archives (pour mes p’tites, afin de leur expliquer, le moment venu, les origines de la Chute Finale)

Monsieur le Président,

Comme vous je suis un fils d’immigré (polonais, en ce qui me concerne). Mon père est venu étudier en France, en 1925, il est retourné se marier au pays, en 1932. Je suis né en France, en 1934 et nous avons, mes parents et moi, été naturalisés français, en 1936, sous le Front Populaire.

Bien que mon père, ingénieur dans une usine métallurgique, ait participé à l’effort d’armement de la France et ait toujours été respectueux de la loi, nous avons, en 1942, en tant que juifs, été déclarés déchus de la nationalité française par le Gouvernement de Vichy, et, de ce fait, mis en danger immédiat d’être arrêtés et déportés. Nous n’avons dû la vie, comme beaucoup d’autres juifs résidant en France, qu’au dévouement et parfois à l’héroïsme de ceux qui, alors, nous ont cachés et aidés, en nous procurant de faux papiers et en nous hébergeant.

Vous êtes né après cette sombre époque. Vous n’avez pas connu, dans la presse et à la radio, le déchaînement de la haine xénophobe. C’est la seule excuse que je peux trouver à ce que j’oserais appeler votre irresponsabilité, si je n’étais tenu au respect par la haute fonction que vous incarnez.

Vous n’êtes pas seulement, en effet, le chef d’une majorité qui conduit une politique choisie par les électeurs. Vous occupez une place symbolique, que reconnait la loi, en vous déclarant au dessus d’elle pendant la durée de votre mandat. En se dotant d’un Président de la République, en décidant, il y a presque un demi-siècle, de l’élire au suffrage universel, pour renforcer son image et son pouvoir, le Peuple souverain s’est cherché à la fois un guide à moyen terme et un arbitre transcendant les passions populaires.

Celles-ci sont promptes à s’échauffer, en particulier dans les périodes de crise économique, comme celle que nous traversons. La passion conduit à l’abolition de la réflexion, au passage à l’acte, à la décharge immédiate des désirs les plus primitifs. Quoi de plus passionnel, de plus irréfléchi et de plus primitif que la haine ou la peur de l’étranger. Surtout, s’il vit parmi nous, s’il s’infiltre à travers des frontières, érigées pour nous protéger, s’il viole ainsi continuellement le sentiment du chez-soi, l’étranger, quoi qu’il fasse ou ne fasse pas, est, en lui-même, une source potentielle d’insécurité. Il engendre inévitablement, dans les sociétés humaines archaïques comme dans les sociétés animales, la violence.

Dans les moments difficiles, il devient le bouc émissaire. Le Juif, le Romanichel et aujourd’hui le Noir ou le Beur, quelle que soit sa nationalité formelle, incarne ainsi, en lui-même, le danger voire le mal, indépendamment de son comportement objectif.

Il suffit de lire actuellement les commentaires des internautes et de suivre les sondages d’opinion pour s’assurer du large écho positif rencontré par vos propositions de Grenoble et par leurs applications immédiates. Vous surfez sur une vague porteuse. Mais c’est justement ce qui m’inquiète. L’histoire n’est pas avare d’exemples qui montrent jusqu’où peut conduire le débordement passionnel et avec quelle facilté peut craquer l’enveloppe de civilisation qui tente de les contenir, en s’appuyant sur les valeurs de solidarité, de tolérance et d’hospitalité qui font partie aussi de l’héritage humain.

Par delà votre personne, vous êtes le représentant de ces valeurs, vous avez pour mission, et vous l’avez rappelé dans un de vos anciens discours, en citant Edgar Morin, de faire œuvre de civilisation. Un Président de la République doit renforcer le sentiment de sécurité en faisant un travail de pédagogue (ce qu’avait fait votre prédécesseur François Mitterand, en demandant au Parlement d’abolir la peine de mort, contre le sentiment prévalent dans la majorité de la population).

Les réponses au jour le jour que vous donnez, avec la fougue qui vous caractérise, aux problèmes actuels d’insécurité sociale, économique et d’ordre public, n’ont rien de rassurant. Vous avez déclenché, justifié par avance, des réflexes sociaux que vous risquez de ne plus maîtriser. Le Front national se réjouit de voir valider, au plus haut niveau de l’État, certaines de ses propositions.

Comble d’ironie, c’est d’un pays sans grande tradition démocratique, la Roumanie, où, comme d’ailleurs en Hongrie et en Bulgarie les Roms n’ont jamais joui d’un statut enviable, que vous viennent aujourd’hui les accusations de populisme et l’appel à une réflexion plus calme et plus inscrite dans la durée.

Veuillez agréer, monsieur, le Président, l’expression de la haute considération dans laquelle je tiens votre fonction.

On ne prospère que dans un bourbier…

Dans ses Exercices négatifs (Ed. Gallimard, première version, manuscrite, inaboutie, de son Précis de Décomposition, paru en 1946), l’écrivain roumain E. M. Cioran(*) nous dit :

« Tous les malheurs des hommes commencent dès que finissent leurs échecs. A partir de ce moment, ils ne redoutent plus de se perdre, et ils trahissent leur nature, et se perdent. On ne prospère que dans un bourbier ; on s’enlise sur le trône. Les plus grands vaincus sont ceux qui ont réussi. Car tous les vices réunis dans un seul homme ne sauraient le pervertir autant que la gloire. »

Je ne peux que savourer ces paroles intemporelles… Suivez mon regard et vous comprendriez.

(*) Cioran est celui-là même qui déclara avoir passé sa vie à recommander le suicide par écrit, et à le déconseiller par oral (car dans le premier cas cela relève du monde des idées, alors que dans le second il avait en face de lui un être de chair et de sang)… un écrivain-philosophe dont le pessimisme n’avait d’égal que son scepticisme.

Civilisations humaines : Entre montée et déclin…

J’ai relu dernièrement quelques passage du « Muqaddima » d’Ibn Khaldûn et je n’ai pu m’empêcher d’y voir le reflet de nos sociétés actuelles. La décadence est la soeur jumelle de l’essor, de la croissance. Nos acquis sont tout sauf éternels. Et c’est l’histoire universelle qui se chargera de nous le rappeler… Est-ce possible de bloquer la roue de l’histoire ? Est-ce au moins possible d’en ralentir la cadence ? Un vrai travail d’introspection s’impose…

Ibn Khaldûn, historien (1332-1406) et homme politique ayant servi les souverains de Tunis, de Fès, puis d’Andalousie,  est aujourd’hui considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie et de l’économie politique.

« Lire Ibn Khaldûn aujourd’hui, c’est prendre la mesure d’une pensée non-européenne majeure et inviter à des approches comparatives afin de contrer l’idée d’un fossé entre les cultures et les pensées qui les portent » Esprit, novembre 2005.

Son principal ouvrage « Muqaddima », se veut une introduction à l’œuvre fondamentale : un ouvrage beaucoup plus vaste retraçant l’histoire des Arabes et des Berbères. Par cet ouvrage, Ibn Khaldûn révolutionne l’écriture de l’histoire telle qu’établie par ses prédécesseurs. Il se déclare explicitement à la quête d’une méthode capable d’établir les critères de la vérité historique. Il relie l’histoire à la « science de la culture » et prend la société humaine comme objet de ses investigations.

C’est d’Ibn Khaldûn que le grand historien anglais Arnold Toynbee  dit : « Il a conçu et formulé une philosophie de l’Histoire qui est sans doute le plus grand travail qui ait jamais été créé par aucun esprit dans aucun temps et dans aucun pays ».

Une œuvre clairement originale… Et il est bien le premier à le souligner : « Sache que l’examen d’un tel objet est une entreprise totalement neuve, qu’il se place à un point de vue inaccoutumé et qu’il est, en plus, de grande utilité. (…) C’est une science qui vient de naître. ». Il est bien le premier à annoncer la naissance d’« une science indépendante, avec un objet et des problèmes propres : la civilisation humaine et la société humaine, et l’explication des états qui l’affectent dans son essence, successivement ».

En termes modernes, Ibn Khaldûn jette les fondements de l’anthropologie et de la sociologie… Entre ses mains, des liens surgissent entre le développement des sciences et des arts, la lutte pour le pouvoir, la capacité à gouverner, la montée et le déclin des civilisations, le développement et le contrôle des richesses, la coopération, la cohésion, mais aussi la montée de l’égoïsme et de l’agressivité au sein d’une société humaine…

L’originalité de la pensée d’Ibn Khaldûn réside dans sa capacité à traverser les siècles sans le moindre ride. Ce qu’il a pu écrire dans un contexte de délabrement de la civilisation arabo-musulmane se révèle universel et intemporel. Il résume à la perfection le cheminement suivi par une société humaine dans sa montée, sa maturité, puis son déclin. Son côté cartésien et synthétique étonne encore et toujours. Afin d’en rendre compte, je reprends ici le résumé (joliment écrit) deLeila Salem dans son article « Ibn Khaldûn critique d’un orient sclérosé et d’un monde marchandisé » :

[ La nécessité de la vie en société pousse des tribus bédouines à porter le mouvement qui leur permet de passer d’une civilisation rurale et bédouine à une civilisation urbaine et sédentaire. Ce passage ne peut se faire que par la création d’un État et le choix d’un souverain dont le but est de permettre aux hommes de vivre en société, de cumuler les savoirs, les activités et les richesses.

Ces tribus solidaires (liées par la notion de Açabiyya, ou esprit de corps) , courageuses partageant les biens et supportant les privations créent un État fort et juste. Pour que l’État prospère, il doit assurer la stabilité de la domination et le maintien des populations sous le contrôle, imposer la paix, désarmer ses sujets et détruire les solidarités naturelles.

Le courage, les violences, les solidarités sont peu à peu éradiqués et sont remplacés par la violence organisée de l’État (représentée par son armée), par le goût et l’amour du gain et de l’argent et par l’obéissance. La loi, l’éducation, les sanctions et le désarmement de la population permettent la levée de l’impôt, signe de soumission des sujets et de l’éradication de l’esprit de corps. Le pouvoir est respecté et craint, la civilisation urbaine se développe, les sciences s’épanouissent et la démographie augmente.

Quand le bien-être s’installe, la société devient de plus en plus individualiste et soumise et l’esprit de corps rompt. Des classes sociales apparaissent ; elles s’affrontent, mais continuent au début à vivre ensemble en paix.

Quand le luxe est à son comble, les luttes interclasses deviennent plus rudes, des turbulences politiques apparaissent et la paix sociale décline. L’État faiblit et le pouvoir devient coercitif, l’injustice s’installe et la solidarité naturelle disparaît complètement. La levée d’impôt se fait par la force et la spoliation. Moins prospère, le pays devient moins peuplé et les villes sont désertées ; la baisse démographique entraîne une diminution du travail qui à son tour conduit à la pauvreté et à la misère et le Umran (civilisation) finit par dépérir « Le luxe corrompt le caractère. L’âme prend toutes sortes de vices et de mauvaises habitudes…conséquences : régression et ruine. La dynastie montre des signes de perdition et de dissolution. Elle attrape les maladies chroniques de la vieillesse et meurt » rapportait Ibn Khaldûn dans Al Muqaddima. Et il ajoutait « Quand un État parvient à un haut degré de bien-être et d’aisance. Les habitudes du luxe se développent rapidement chez lui et il abandonne la vie dure et grossière qu’il avait menée jusqu’alors, afin de jouir du superflu …il s’aperçoit combien le superflu est indispensable …la souveraineté s’use dans le luxe et c’est le luxe qui la renverse ».  ]